La stimulation cérébrale non-invasive est un domaine en pleine expansion, avec des pistes prometteuses pour le traitement des maladies neurodégénératives. Au sein du Frontlab de l’Institut du Cerveau, Clara Sanches, doctorante, les Drs Lara Migliaccio (Inserm) et Antoni Valero-Cabré (CNRS) et leurs collaborateurs, combinent leurs expertises sur le sujet pour développer à la fois des recherches fondamentales sur le sujet et un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC AP-HP). Ils ont publié récemment un article dans Frontiers in Aging Neuroscience, dans lequel ils passent au crible pour la première fois l’ensemble des essais de stimulation cérébrale non-invasive dans huit pathologies neurodégénératives et prônent des directions spécifiques pour mieux développer ce domaine de recherche biomédicale.
De nouvelles stratégies thérapeutiques dans les maladies neurodégénératives.
Le vieillissement de la population et l’augmentation de la prévalence des maladies neurodégénératives crée une pression sans précédent sur les sociétés et leurs systèmes de santé. Malgré des pistes et découvertes prometteuses, les traitements médicamenteux et autres thérapies sont toujours peu nombreux et n’ont pas montré de capacités importantes à modifier le pronostic de ces maladies.
Les interventions de stimulation cérébrale non-invasive, comme la stimulation magnétique transcrânienne ou la stimulation électrique par courant continu, représentent un espoir dans les maladies neurodégénératives. Elles ont montré leur capacité à agir sur les processus de plasticité cérébrale et sont maintenant bien connues, depuis plus d’une dizaine d’année, dans la modulation de différents processus cognitifs chez des sujets non-malades. De récentes études se sont par ailleurs montrées prometteuses sur la capacité de ces techniques à améliorer les processus cognitifs liés au langage ou à la mémoire au cours du vieillissement. « Il ne s’agit pas ici pour le moment de guérir ces pathologies, car il n’y a pas encore d’évidences solides qui montre que ces technologies agissent sur les mécanismes biologiques des maladies neurodégénératives. En revanche, par leurs effets modulateurs de l’activité de régions cérébrales et des réseaux cognitifs elles pourraient permettre de mieux préserver et plus longtemps les fonctions cognitives des patients atteints de maladies neurodégénératives » explique Antoni Valero-Cabré, médecin et directeur de recherche CNRS au sein du Frontlab de l’Institut du Cerveau.
Les pathologies neurodégénératives bien connues comme les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, mais aussi les dégénérescences fronto-temporales ou encore les aphasies primaires progressives font face à des défis immenses. La prise en charge précoce en fait partie. Ces maladies sont une course contre la montre dans laquelle les traitements existants ne permettent souvent que de ralentir transitoirement l’évolution. Préserver les fonctions des patients au plus tôt est donc essentiel. Un autre défi est celui de la personnalisation des traitements. « Même au sein d’un même groupe de maladies neurodégénératives, chaque patient est différent. Cela ne se joue pas sur la durée de la maladie ou sa sévérité. L’atteinte cérébrale et fonctionnelle qui peut être complètement différente d’un patient à l’autre. » précise Lara Migliaccio, neurologue et chercheuse Inserm dans le Frontlab de l’Institut du Cerveau.
Le Frontlab de l’Institut du Cerveau, qui réunit des chercheurs et médecins-chercheurs aux expertises multiples en neuroimagerie, neurostimulation ou encore en neurologie, essaye de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques, en évaluant de façon objective l’effet thérapeutique de la stimulation cérébrale non-invasive sur le cerveau malade.
La stimulation magnétique transcrânienne et la stimulation transcrânienne par courant continu
La stimulation magnétique transcrânienne (TMS) est une technologie non invasive permettant une action focalisée sur une région cérébrale particulière au moyen des courants électriques générés par un champ magnétique transitoire. Elle est capable de modifier de façon transitoire l’activité de la région ciblée et a notamment été utilisée pour rétablir des activités électriques normales dans des régions endommagées du cerveau. La TMS agit principalement sur des régions superficielles du cerveau, au niveau du cortex, mais a tout de même montré une capacité à influencer l’activité de régions distantes de la zone de stimulation, connectées toutefois anatomiquement par des faisceaux de substance blanche à cette dernière.
La stimulation électrique transcrânienne par courant continu (tDCS) consiste à faire passer un faible courant électrique entre deux électrodes placées sur deux régions distantes du crâne. Cela a pour effet de polariser une région du cortex et ainsi à moduler l’excitabilité des neurones, et les rendre plus ou moins sensibles à une activation physiologique. Contrairement à la TMS, elle n’agit pas directement sur l’activité électrique des neurones du cortex. Elle a l’avantage d’être beaucoup moins coûteuse que la TMS et plus facile d’utilisation à l’hôpital ou en soins de suite, mais pour une précision spatiale moindre.
Deux grandes stratégies de réhabilitation sont privilégiées pour ces techniques. Il s’agit d’une part d’augmenter l’activité du cortex dans des régions associées à des fonctions cognitives spécifiques, et/ou d’autre part de bloquer l’activité des réseaux dans qui pourraient interférer ou empêcher la récupération des capacités des patients.
Les stimulations non-invasives dans les maladies neurodégénératives
Dans un article paru dans la revue Frontiers in Aging Neuroscience, Lara Migliaccio, Antoni Valero-Cabré, et leurs équipes au Frontlab, passent en revue l’ensemble des études de stimulation cérébrale non-invasive publiées dans huit pathologies neurodégénératives : la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, la démence à corps de Lewy, l’aphasie primaire progressive, la variante comportementale de la dégénérescence fronto-temporale, le syndrome cortico-basal, la paralysie supranucléaire progressive et l’atrophie corticale postérieure. La majorité d’entre elles présentent des résultats intéressants, plus ou moins préliminaires, pour la préservation des fonctions cognitives grâce aux stimulations cérébrales non-invasives, suggérant l’intérêt de poursuivre les recherches dans ce domaine. Cependant, la diversité des stratégies utilisées dans les différentes études et les paramètres étudiés pour juger de l’efficacité de ces thérapies sont trop nombreux pour établir pour le moment une ligne claire quant à l’utilisation de la stimulation cérébrale non-invasives dans les différentes pathologies et aux modalités qui pourraient être employées. Les auteurs présentent néanmoins avec détail toute une série de suggestions et d’innovations d’ordre clinique, cognitif et technologique pour guider le développement de futures études et essais.
STIM-DS : un essai thérapeutique innovation dans l'aphasie primaire progressive
Des données pré-thérapeutiques publiées par le Dr. Valero-Cabré et le Dr. Marc Teichmann (Institut de la mémoire et de la maladie d’Alzheimer, IM2A, APHP) dans la prestigieuse revue Annals of Neurology en 2016 ont permis de développer un essai thérapeutique, financé par l’APHP (PHRC National) et la Fondation Recherche pour l’Alzheimer (FRA). Celui-ci est actuellement mené à l’IM2A sur une population de patients atteints d’une aphasie primaire progressive, variante sémantique. « Pour ce projet de recherche clinique à visée thérapeutique, nous nous sommes intéressés une pathologie dans laquelle la variabilité est minimale. L’atrophie des patients est très ciblée au niveau du lobe temporal gauche, mais même dans ce cas nous nous sommes rendus compte du haut degré de variabilité qui existait d’un patient à l’autre. Certains patients ont une atteinte bilatérale, d’autres une atteinte du lobe frontal… » poursuit Lara Migliaccio. « Pendant la pandémie, la personnalisation du traitement, le développement d’une plateforme de stimulation et l’évaluation à réaliser à domicile par des aidants sous-contrôle par télémédecine sont ainsi devenus des élément clé dans le développement future de ces stratégies thérapeutiques. », ajoute le Dr. Valero-Cabré. L’étude a déjà donné des résultats prometteurs sur l’utilisation de la stimulation transcrânienne par courant direct pour améliorer les capacités langagières de patients atteints d’aphasie primaire progressive et continue, malgré des difficultés liées aux conditions sanitaires, à rechercher activement des patients.
Pour plus d'informations : https://institutducerveau-icm.org/fr/actualite/une-etude-met-en-evidence-les-benefices-de-la-stimulation-trans-cranienne-par-courant-continu-dans-le-traitement-de-laphasie-primaire-progressive/
Une autre étude a également montré un effet bénéfique pré-thérapeutique de la stimulation transcrânienne par courant direct sur une atteinte langagières similaire dans une autre pathologie ciblant le cortex dorso-latérale préfrontal : la paralysie supranucléaire progressive. Les résultats d’essais pré-thérapeutiques sur d’autres pathologies neurodégénératives, comme la démence fronto-temporale ou les variantes logopénique (difficulté à trouver des mots sans problème de compréhension) et non fluente (difficulté de syntaxe, d’élocution, trouble de la lecture et de l’écriture) de l’aphasie primaire progressive, aussi explorées par ces équipes sont en cours d’analyse ou de publication.
Valero Cabré, A, Sanches C, Godard J, Fracchia O, Dubois B, Levy R, Truong T, Bikson Mm, Teichmann M. Language boosting by transcranial stimulation in Progressive Supranuclear Palsy. Neurology 2019; 93(6): e537-e547
Tous ces résultats très encourageants chez les patients soulignent l’intérêt de poursuivre les études de stimulation cérébrale chez les patients. L’essai STIM-DS continue de recruter des patients.
Le futur des traitements par stimulation cérébrale non invasive
« Notre étude souligne trois enjeux pour le futur des traitements par stimulation cérébrale non-invasive : la personnalisation des thérapies, l’intérêt de les intégrer à une approche de soins plus globale avec un programme de rééducation cognitive ou en complément de thérapies médicamenteuses, et ce dès les premiers stades de la maladie. » soulignent les deux chercheurs.
D’un point de vue technique, la recherche devrait également intégrer les nouvelles connaissances sur les mécanismes et les contraintes guidant l’impact des champs électriques et magnétiques sur les tissus cérébraux et l’activité cérébrale, pour développer des approches plus optimisées de neurostimulation qui s’adaptent aux caractéristiques morphologiques de la tête et du cerveau de chaque patient et à l’étendu de l’atrophie corticale neurodégénérative.
Les années d’échecs en matière de thérapies médicamenteuses pour les maladies neurodégénératives ont soulevé la problématique de la fenêtre de traitements. Les symptômes de ces maladies n’apparaissent que des années après le début des atteintes cérébrales et les dégâts sont déjà trop importantes lorsque les traitements sont fournis pour avoir un effet notable. Agir à des stades précoces de la maladie nécessite cependant de la diagnostiquer au plus tôt et d’avoir des biomarqueurs fiables de son évolution pour évaluer l’impact des thérapeutiques à l’essai. « Sur cette question, la stimulation cérébrale montrera toute son efficacité si elle est prodiguée au plus tôt, lorsque les dégâts sont encore peu étendus. Alors, elle sera un vrai outil pour préserver le potentiel des capacités cognitives des patients. » conclut Antoni Valero-Cabré.
Sources
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33551785/
Sanches C, Stengel C, Godard J, Mertz J, Teichmann M, Migliaccio R, Valero-Cabré A. Front Aging Neurosci. 2021 Jan