Certaines personnes, très rares, prétendent n’avoir jamais rêvé. Des travaux menés par le Pr. Isabelle Arnulf, Chef de service des pathologies du sommeil à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et chercheuse à l’Institut du Cerveau – ICM, et ses collaborateurs, démontrent que cette assertion est fausse. Tout le monde rêve, mais certains ne s’en souviennent pas. En route vers l’étude de ces non-rêveurs…
Tuer des dragons, voler au-dessus des océans, être poursuivi par des monstres, sortir tout nu en public, repasser son bac… Le rêve est un état de conscience modifié, dans lequel le cerveau construit un monde virtuel d’images et de sensations marquantes que nous n’identifions pas, sur le moment, comme des hallucinations. Certains ont des vies oniriques passionnantes, cependant, une faible proportion de la population ne se souvient pas de ses rêves et certaines personnes prétendent même n’avoir jamais rêvé !
Le Pr. Isabelle Arnulf, chercheuse à l’Institut du Cerveau – ICM, travaille avec des patients atteints de la maladie de Parkinson. La plupart de ces patients « vivent leurs rêves » c’est-à-dire que, même endormis, ils peuvent se mettre à parler, crier, rire, pleurer ou encore gesticuler. Ces troubles du comportement en sommeil paradoxal (moment où l’on rêve le plus) adviennent également chez des sujets sains ne présentant aucun autre symptôme. Comme au sein de la population générale, environ 3 % des personnes souffrant de ces troubles du comportement en sommeil paradoxal prétendent ne jamais rêver. L’équipe d’Isabelle Arnulf a voulu comprendre pourquoi.
Parce qu'ils ont un problème de mémoire ?
Les chercheurs se sont d’abord demandé si ces patients ne présentaient pas tout simplement des problèmes de mémoire. Leur évaluation via différents tests a montré qu’ils avaient le même niveau de mémoire et le même profil cognitif que les personnes qui se souviennent de leurs rêves. L’absence de rêve serait-elle donc possible ?
Parce qu'ils n'ont pas d'imagerie mentale ?
Les chercheurs ont vérifié que ces personnes non-rêveuses étaient capables d’imaginations mentales, qu’elles pouvaient se représenter par exemple la tour Eiffel les yeux fermés : pas de déficit non plus de ce côté, pas d’ « afantasie » (incapacité de se représenter une image mentale, un trouble neurologique très rare).
Parce qu'ils ne rêvent pas ?
En étudiant le sommeil de ces « non-rêveurs » et en observant leur activité nocturne en laboratoire, les chercheurs ont mis en évidence un comportement onirique en actes ou en paroles pendant la nuit, indiquant que les patients sont bien en train de rêver. Certains vivent une dispute violente, d’autres fument une cigarette… Ces rêves sont clairement matérialisés pour un observateur extérieur, et pourtant, aucun des patients ne s’en souvient à son réveil même si ce réveil a lieu pendant la phase de sommeil paradoxal.
Parce que les rêves ne se gravent pas dans leur mémoire ?
Si les « non-rêveurs » rêvent, l’hypothèse la plus probable reste qu’ils ne s’en souviennent pas parce que leurs rêves ne sont pas encodés, gravés dans leur mémoire au cours du sommeil. Pour vérifier cette hypothèse, la prochaine étape consiste à comparer l’activité cérébrale des « non rêveurs » à celle des « rêveurs » par imagerie cérébrale fonctionnelle. Cette étude pourrait aider à comprendre ce qui se passe dans le cerveau pendant le rêve et comment ce dernier est gravée dans la mémoire. Une autre étude consisterait à savoir si les rêves sont bien gravés (encodés) mais pas rappelés : en donnant aux « non-rêveurs » des indices sur leur rêve grâce à des enregistrements vidéo (un mot, une situation), afin d’établir si cela les aide à se souvenir.
Les troubles du comportement en sommeil paradoxal représentent un outil de choix pour étudier le rêve et les états de conscience. Les travaux de l’équipe d’Isabelle Arnulf démontrent que tout le monde rêve, même si certains ne s’en souviennent pas. Le problème résiderait dans la façon dont les rêves sont collectés et emmagasinés par leur cerveau, sans autre altération de la mémoi