L’Institut du Cerveau - ICM comprend un pôle des applications de la recherche pour détecter et valoriser la recherche fondamentale faite au sein des laboratoires de l’Institut. Rencontre entre Pierre Pouget, chercheur à l’Institut du Cerveau - ICM, et Serge Kinkingnehun, détecteur d’innovation à l’Institut du Cerveau - ICM, pour illustrer comment se mettent en place les collaborations au sein de l’Institut.
Sur quoi travaillez-vous ?
Pierre Pouget (PP) : Je travaille à l’Institut du Cerveau - ICM dans l’équipe de Marie Vidailhet qui étudie la motricité normale et pathologique. Au sein de cette équipe, j’étudie en particulier la transformation sensori-motrice. Comment transforme-t-on une stimulation sensorielle extérieure en un acte moteur ? L’œil est un modèle esthétique pour étudier cela car il voit et bouge quasi simultanément. J’utilise ce modèle du mouvement de l’œil pour répondre à une question très simple : comment, quand et pourquoi produit-on un mouvement ?
Serge Kinkingnehun (SK) : Pour ma part, je travaille à la Direction des Applications de la Recherche ou l’une de mes missions est de détecter les innovations développées par les chercheurs de l’Institut, afin de les valoriser. C’est-à-dire fouiller dans le travail des chercheurs, comprendre ce qu’ils ont réalisé, essayer de trouver des applications répondant à un besoin, breveter les solutions identifiées pour les licencier par la suite auprès de PME ou d’industriels, ou créer de nouvelles startups autour de nouveaux produits et services.
Voir aussi : SERGE KINKINGNEHUN, « DÉTECTEUR D’INNOVATION » À L’Institut du Cerveau - ICM |
Comment en êtes-vous arrivés à travailler ensemble ?
SK : Ma première mission en arrivant à l’Institut du Cerveau - ICM a été d’aller voir les chercheurs pour faire ce que l’on appelle du scouting : c’est-à-dire discuter avec eux pour relever les innovations potentielles de leurs travaux de recherche. Pierre est l’un des premiers chercheurs que j’ai rencontré.
PP : Lorsque Serge est venu me voir, je travaillais sur une tâche un peu particulière de contrôle des mouvements oculaires (antisaccades). Dans cette tâche un indice (souvent une cible de couleur) est utilisé pour produire un mouvement dans la direction opposée à une position réflexive. Il existait cependant une difficulté pour notre étude : chacun d’entre nous perçoit les couleurs différemment.
C'est l'histoire de la robe bleu ou verte, devenue virale sur Internet. Avec un petit groupe de chercheurs, nous avons recherché une méthode pour déterminer ces différences de perception individuelle. Comment savoir que le bleu que je vous présente est le même bleu que celui que j’observe et comment faire en sorte que vous présentiez ce même bleu à un sujet lors de l’une de vos expériences ?
On s’est intéressé à la réponse de la pupille pour examiner cette question. Historiquement, nous savions déjà depuis longtemps que la pupille varie en fonction de la luminance de l’objet qui est observé. Notre idée fut donc simple : utiliser cette mesure de la dilatation de la pupille pour contrôler la luminance "personnelle" ou iso-luminance.
En quoi consiste cette méthode ?
PP : Il faut savoir qu’il existe déjà des méthodes de mesure de l’isoluminance perceptive. Le problème est que ces méthodes sont longues à mettre en place et nécessitent un apprentissage par le sujet. Elles peuvent donc être biaisées : une condition peut être choisie par le sujet, ou le sujet peut mal comprendre la tache par exemple.
Avec Pierre Daye, Jean Lorenceau et Patrick Cavanagh, nous avons testé et identifié une méthode pour laquelle il n’y a pas besoin d’interagir avec le sujet. On met simplement la personne devant un écran et on détermine son iso-luminance. La méthode que nous avons développée se base sur le croisement entre trois choses : on sait que les individus ont des perceptions différentes des couleurs et on sait que leurs pupilles varient différemment et de façon individuelle face à ces perceptions, on régule alors la variation de la pupille pour un stimulus donné (une certaine couleur). On peut ainsi estimer la variation de luminance de la couleur perçue par le sujet.
Qu'est-ce qui t'as paru intéressant dans ce projet, Serge ?
SK : Quand nous avons discuté avec Pierre de cette histoire, je me suis dit, "mais c'est absolument génial ! Tu peux savoir comment les gens voient les couleurs, sans avoir besoin de leur poser de questions". J'ai tout de suite pensé que cela pouvait avoir des répercussions incroyables pour deux applications.
Premièrement, il y a de nombreuses pathologies pour lesquelles la perception des couleurs varie en fonction de l'évolution de la maladie. Il faut savoir que la rétine fait partie du système nerveux central, donc dès qu'il y a des modifications internes au système nerveux, cela se traduit par des variations de la pupille. On peut utiliser ces travaux de recherche comme test diagnostic et comme suivi de l’évolution de certaines pathologies neurologiques, psychiatriques mais aussi de la rétine elle-même.
Deuxièmement, on a des applications aujourd'hui qui permettent d'adapter la lumière des écrans électroniques (smartphones, tablettes…) à la luminosité ambiante. Mais à la vue des travaux de Pierre : on a beau contrôler la luminosité de l’écran, de toute façon chacun la perçoit différemment. Une vraie différence serait d'adapter les couleurs de l'écran à chaque utilisateur. On obtient alors des téléphones, ordinateurs et tablettes vraiment personnalisés.
PP : Il faut quand même préciser que l'idée d’utiliser la pupille comme indicateur pour certaines maladies n’est pas nouvelle. C'est déjà bien connu pour des pathologies comme le coma par exemple. Ce qui est intéressant avec notre méthode c’est l’ajout de la chromaticité.
Où en êtes-vous actuellement dans la concrétisation des applications ?
SK : Au détour d’une conversation, on a finalement abouti au dépôt de deux brevets pour chacune des applications discutées. Maintenant, il faut réaliser des prototypes pour juger du fonctionnement et commencer des essais d'utilisations en clinique et… dans la vie de tous les jours.
C’est important que les chercheurs de l’Institut viennent discuter avec nous à la DAR. Il faut pouvoir échanger, pour confronter les expériences et les connaissances. C’est dans ce dialogue que naissent les idées et les projets de demain.