Comparaison des ressources cérébrales et cognitives engagées lors de la respiration automatique ou volontaire
Certaines activités, comme la marche ou la respiration, présentent la propriété singulière de pouvoir être réalisées de manière volontaire ou automatique. Par exemple, il est possible à chacun d’entre nous de décider de prendre une grande inspiration et de garder les poumons gonflés quelques secondes pour ensuite expirer lentement. A l’inverse, nous respirons la plupart du temps sans y penser, et c’est d’ailleurs ce qui se passe chaque nuit. Si les structures nerveuses en charge de la respiration automatique situées dans le tronc cérébral sont assez bien connues, celles qui sous-tendent la respiration volontaire demeurent davantage mystérieuses. Une équipe de recherche de l’Institut du Cerveau à la Pitié-Salpêtrière dirigée par le professeur Lionel Naccache (Sorbonne Université, Institut du Cerveau, INSERM) publie dans la revue PLoS ONE une observation originale qui met en évidence les mécanismes cérébraux de la respiration volontaire et qui surtout révèle pour la première fois le coût cognitif qui lui est associé.
Cette recherche débute par une discussion avec les Pr. Thomas Similowski et Christian Straus, co-auteurs de l’étude et responsables des services de Pneumologie et Explorations Fonctionnelles Respiratoires de la Pitié-Salpêtrière ainsi que de l’UMRS 1158 Inserm-Sorbonne Université (qui étudie spécifiquement la neurophysiologie respiratoire) autour d’une affection génétique rarissime et redoutable : le syndrome d’Ondine, ou syndrome d’hypoventilation centrale congénitale. Les nouveaux nés porteurs de cette mutation naissent avec un dysfonctionnement sévère de la structure du tronc cérébral en charge de la respiration automatique. Conséquence immédiate : dans les formes les plus sévères, les patients meurent d’asphyxie dès qu’ils s’endorment. Le traitement consiste à faire bénéficier ces patients tout au long de leur existence de ventilateurs externes qu’ils utilisent dès lors qu’ils se couchent, même pour une simple sieste. Lorsqu’ils sont éveillés, ils respirent sans encombre, mais de manière volontaire.
Les chercheurs ont eu l’idée de comparer l’activité cérébrale d’une jeune femme éveillée et atteinte de ce syndrome, selon qu’elle respirait volontairement ou par ventilation externe. Allongée dans une IRM, la patiente était couverte de capteurs mesurant sa respiration et sa concentration sanguine en oxygène, et portait un casque d’électrodes permettant d’enregistrer son électro-encéphalogramme. Ceci afin de s’assurer qu’elle ne s’endormait pas lorsque le ventilateur externe était en marche.
Premier résultat : lorsqu’elle respirait avec l’aide du ventilateur externe, le cerveau de la patiente présentait un profil d’activation bien plus proche de celui d’un sujet sain que lorsqu’elle respirait volontairement : son « état cérébral de repos » était normalisé par la ventilation mécanique. Ce résultat est important car ce réseau de repos est associé à la conscience de soi, à l’introspection et à l’imagination. En réalité, lorsque la patiente respirait volontairement, de nombreuses régions de son cerveau étaient davantage occupées à contrôler le tronc cérébral, – qui dans son cas n’est pas capable de « piloter » seul la respiration -, qu’à participer à ce réseau cérébral de repos. Tel était le coût cérébral de la respiration volontaire chez elle.
Second résultat : ce coût cérébral était associé à un coût mental ou cognitif. Dans plusieurs tâches cognitives, la patiente s’est montrée plus efficace lorsqu’elle respirait à l’aide du ventilateur que lorsqu’elle respirait volontairement. Cette jeune femme a d’ailleurs signalé aux expérimentateurs que lorsqu’elle était lycéenne, elle avait remarqué qu’elle réussissait plus facilement à résoudre ses problèmes de mathématiques en portant son ventilateur externe !
Ces résultats éclairent d’une manière originale les mécanismes automatiques (tronc cérébral) et volontaires (cortex) de la respiration, et nous informent sur le coût cognitif associé à la respiration volontaire, qui est contrôlée par le cortex. Au-delà de ce cas unique qui devra être confirmé sur une population plus large de patients souffrant de cette affection orpheline, ces premiers résultats laissent supposer que chez ces patients, l’usage du ventilateur externe pourrait être étendu à des activités cognitives (ex : apprentissage scolaires), et pas uniquement aux périodes de sommeil. L’étude publiée dans PLOSone aura ainsi une conséquence clinique directe : le centre de référence “maladies rares” du syndrome d’Ondine, dont la branche adulte est localisée à la Pitié-Salpêtière, va inclure une évaluation cognitive avec et sans ventilateur dans le bilan de routine des patients. Il pourrait ainsi devenir possible de formuler des recommandations personnalisées d’utilisation du ventilateur pendant les activités à forte demande cognitive. L’association Française du Syndrome d’Ondine (AFSO, www.afsondine.org), qui soutient largement la recherche dans ce domaine, est naturellement très intéressée par cette avancée dans la prise en charge. Plus largement encore, ces résultats nous permettent de prendre conscience des ressources cognitives qui sont rendues disponibles lorsque nous respirons de manière automatique et sans y penser.