À l’occasion du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle (IA) qui a eu lieu les 10 et 11 février 2025 à Paris, la France a accueilli les représentants d’une centaine de pays, dont de nombreux chefs d’Etat, chefs d’entreprise, chercheurs et membres de la société civile. Le projet « NewBorn NeuroDigital » porté par l’Institut du Cerveau et l’AP-HP, a été sélectionné par le secrétariat général pour l'investissement parmi les 35 défis « Convergence IA » présentés lors de l’événement.
NewBorn NeuroDigital est un projet visant à créer un outil d’aide à la décision médicale destiné aux réanimateurs pédiatriques et aux néonatologistes. Il permet de synthétiser les données sur l’activité cérébrale des nouveau-nés ayant subi une asphyxie à la naissance, afin d’aider les soignants à évaluer de possibles lésions cérébrales et poser l’indication du traitement.
Porté par Marc Fiammante, Fellow IBM à la retraite et doctorant à l’Institut du Cerveau, le projet a été développé à l’initiative d’Anne-Isabelle Vermersch (AP-HP), responsable de l’unité « Neurophysiologie clinique de l’enfant » de l’hôpital Armand-Trousseau, avec l’appui de Mario Chavez (CNRS), chercheur au sein de l’équipe NERV, et grâce au soutien de The Human Safety Net (THSN), la fondation du groupe Generali.
L’asphyxie périnatale, une situation critique
Tous les ans en Europe, près de 20 000 enfants naissent dans un contexte d’asphyxie, c’est-à-dire une privation d’oxygène prolongée dont les causes peuvent être variées. Elle entraine des lésions cérébrales responsables d’environ 5 000 décès, et pour environ 10 000 enfants, d’un handicap qui perdurera à l’âge adulte.
Un traitement neuroprotecteur permet de limiter l’étendue des lésions et réduire considérablement les séquelles neurologiques : il consiste à mettre le bébé en hypothermie à 33°5 pendant 72 heures, en service de réanimation.
Toutefois cette procédure est lourde et coûteuse, et la fenêtre d’intervention est réduite : le traitement doit être décidé avant la 6ème heure de vie de l’enfant avec un haut niveau de certitude, ce qui nécessite d’analyser l’activité cérébrale du nouveau-né à partir de données d’électroencéphalographie (EEG) avec l’expertise d’un neurophysiologiste pédiatrique. Peu d’hôpitaux disposent de ces moyens, et seul un bébé sur six bénéficie de la mise en hypothermie actuellement.
L’IA au service de la prise de décision
Comment fournir le meilleur niveau d’information aux médecins, dans le cadre d’une prise de décision rapide et éclairée ? Grâce à son expertise en traitement du signal, Marc Fiammante a mis au point un outil basé sur l’intelligence artificielle, capable d’analyser différents aspects de l’activité EEG pour en restituer une synthèse claire et accessible aux soignants – même quand ils ne sont pas experts en neurophysiologie pédiatrique.
Nous avons utilisé les enregistrements EEG de 104 nouveau-nés concernés par une asphyxie périnatale et pris en charge au sein du service d’Anne-Isabelle Vermersch, à l’hôpital Armand-Trousseau, entre 2005 et 2020. Ces enfants ont eu un EEG dans les six heures suivant leur naissance, et nous connaissons leur suivi thérapeutique et leur évolution. Nous avons donc mené une étude rétrospective à partir de ces données.
Les chercheurs ont d’abord classé les tracés EEG normaux et les tracés pathologiques, puis conçu un procédé automatisé capable de détecter une atteinte cérébrale liée à l’asphyxie, et dans un second temps d’indiquer aux médecins si le traitement par hypothermie est approprié. Cette aide à la décision est d’autant plus indispensable lorsque que l’atteinte cérébrale est minime et qu’il est difficile d’évaluer d’éventuelles séquelles.
« Les données EEG des nourrissons sont très spécifiques. Nous devons les interpréter dans le contexte de la maturation cérébrale, en utilisant des méthodes statistiques adaptées. Pour cela, nous avons tissé une collaboration étroite entre les neurophysiologistes pédiatriques à l’hôpital, des chercheurs de l’Institut du Cerveau et des ingénieurs d’IBM spécialisés en IA », précise Mario Chavez.
Un futur outil de terrain ?
Cet outil innovant, testé en situation réelle à l’hôpital Armand-Trousseau afin de l’adapter aux besoins des réanimateurs, permet de détecter 98% des cas où l’enfant peut être traité par hypothermie. En mars 2024, l'invention de Marc Fiammante a donné lieu à un dépôt de brevet de l’AP-HP.
La prochaine étape sera maintenant de mener une étude de validation rigoureuse dans plusieurs services de néonatalité afin de s’assurer de sa fiabilité dans différents environnements de soin, puis de le transformer en un véritable produit de santé numérique accessible à tous les soignants en salle d’accouchement – afin de les aider à choisir la meilleure option pour chaque nourrisson.
« Parce que nous travaillons dans l’urgence, nous avions besoin d’un outil qui fournit une recommandation tranchée, binaire, sur la nécessité de mettre ou non l’enfant en hypothermie à la naissance, plutôt qu’un indicateur de risque gradué, conclut Anne-Isabelle Vermersch. Enfin, il nous fallait une application mobile à l'interface simple et intuitive, accessible sur tablette ou écran de smartphone, prête à être utilisée par tous les soignants. À terme, nous espérons que ce système sera mis à disposition dans toutes les maternités, afin d'améliorer le diagnostic de l'asphyxie périnatale et réduire les risques de séquelles pour un grand nombre de bébés, grâce à une prise en charge adaptée. »
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