Pour nous adapter aux petits et grands événements qui donnent au monde son caractère changeant, nous disposons d’une capacité essentielle : la flexibilité cognitive. Elle nous permet d’improviser en cas de perturbations sur notre trajet matinal, de faire face au comportement inattendu d’un proche, ou de nous accoutumer à la vie dans un nouveau pays. Kathleen Cho (Inserm) à l’Institut du Cerveau, et ses collègues du laboratoire de Vikaas Sohal au sein du département de psychiatrie et sciences du comportement de l’Université de Californie, ont décrit, chez la souris, une classe de neurones spécialisés dans cette capacité d’adaptation. Les chercheurs montrent que des perturbations de leur fonctionnement pourraient jouer un rôle dans l’apparition de maladies psychiatriques caractérisées par une certaine rigidité cognitive, comme la schizophrénie. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature.
Pour s’adapter aux changements perçus dans notre environnement, le cerveau modifie constamment l’activité des circuits neuronaux du cortex préfrontal, une région impliquée dans l’attention, l’anticipation et la prise de décision. Mais jusqu’ici, les chercheurs ignoraient quels mécanismes étaient à l’origine de ces modifications – pourtant indispensables aux rongeurs, aux primates et aux humains pour survivre dans un monde en perpétuelle évolution.
Cette connexion nouvellement découverte est formée par les neurones inhibiteurs, une classe de cellules nerveuses capables d’atténuer l’activité des autres neurones. Les chercheurs pensaient que ces neurones inhibiteurs se contentaient de transmettre des informations électriques et chimiques aux zones cérébrales situées à proximité immédiate. Mais en explorant leur fonctionnement chez la souris, Kathleen Cho et ses collègues de l’Université de Californie ont fait une importante découverte. « Nous avons observé qu’une sous-classe de neurones inhibiteurs, les interneurones qui expriment la parvalbumine, étaient capables de communiquer avec des neurones situés très loin d’eux, dans l’hémisphère opposée du cortex préfrontal », précise la chercheuse.
Les secrets d’une relation à distance
Pour mieux comprendre la fonction exacte de ces interneurones, l’équipe a observé leur activité chez la souris, lors d’un petit exercice. Les chercheurs ont présenté aux animaux des bols dans lesquels étaient cachés de la nourriture. D’abord, la présence d’ail ou de sable dans le récipient indiquait la localisation précise de la récompense. Puis, cet indice a été remplacé par un autre, obligeant les souris à identifier puis exploiter la nouvelle règle pour dénicher l’aliment.
Or, lorsque les fameuses connexions neuronales inhibitrices longue distance ont été désactivées chez un groupe de rongeurs via une technique d’optogénétique, ils se sont montrés incapables de s’adapter au changement, et s’acharnaient à chercher la nourriture là où ils détectaient du sable ou une odeur d’ail. En quelque sorte, les souris étaient restées bloquées dans leurs vieilles habitudes…
Les chercheurs ont également montré que les connexions inhibitrices longue distance synchronisaient les variations de l’activité électrique neuronale à haute fréquence – les oscillations gamma – entre les deux hémisphères du cortex préfrontal. « Cette synchronisation était associée à un événement en particulier : le moment où les souris ont réalisé que la règle n’était plus valide », explique Kathleen Cho.
Les effets de cette synchronisation, étonnamment, perdurent dans le temps. Les souris chez qui les interneurones qui expriment la parvalbumine avaient été désactivés ont été incapables d’intégrer de nouvelles règles pendant plusieurs jours. Par la suite, la stimulation artificielle de la synchronisation des oscillations gamma a permis de compenser ce déficit, puis de restaurer entièrement leurs capacités d’adaptation.
Un léger manque de souplesse
Des recherches précédentes ont montré qu’une mauvaise synchronisation des ondes gamma dans le cortex préfrontal et des anomalies dans les neurones inhibiteurs sont présentes chez de nombreux patients schizophrènes. Cette maladie psychiatrique se traduit notamment par une grande difficulté à s’adapter au changement – symptôme également observé dans les troubles bipolaires, ou le trouble du spectre de l’autisme.
Pour déterminer quel pourrait être le rôle des dysfonctionnements des connections neuronales inhibitrices dans ces maladies, de nouvelles études seront nécessaires. « Nous ne savons pas précisément quelques cellules du cortex préfrontal reçoivent des informations via ces connections inhibitrices longue distance, ajoute la chercheuse. Nous ignorons également quels mécanismes moléculaires sont impliqués dans les changements à long terme de l’activité neuronale ». Répondre à ces questions pourrait nous aider à comprendre dans quelles conditions le cerveau renonce à conserver certaines informations… au profit de l’ouverture à la nouveauté.
Financement
Cette étude a été réalisée grâce à l’Inserm, au programme Horizon 2020 Marie Skłodowska-Curie, à l’Université de San Francisco, au NIH, au McKnight Endowment Fund for Neuroscience et à la Brain Research Foundation.
Sources
Cho, K.K.A. et al., Long-range inhibition synchronizes and updates prefrontal task activity, Nature, 2023. DOI : 10.1038/s41586-023-06012-9
L’équipe "Physiologie cellulaire des microcircuits corticaux" a pour objectif l'étude des synapses entre différents types de neurones, conduisant à des circuits spécifiques du cortex cérébral.
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