Accomplir un exploit sportif, exercer un métier à risque, ou encore se rendre au musée, tout est question de motivation. Comment la définit-on et quelles sont les molécules impliquées ? Mathias Pessiglione et Sébastien Bouret, co-responsables de l’équipe « Motivation, Cerveau et Comportement » à l’Institut du Cerveau – ICM répondent à ces questions.
COMMENT DÉFINIT-ON LA MOTIVATION ?
La motivation est la fonction qui régule le comportement, que l’on pourrait résumer simplement par « qu’est-ce que je vais faire et avec quelle énergie ?» Afin de l’étudier scientifiquement, il est nécessaire de la définir rigoureusement grâce à des équations. Pour cela, nous nous basons sur la théorie de la décision, qui décrit la motivation comme la résultante d’une différence entre le coût d’une action et son bénéfice.
En d’autres termes, le degré de motivation correspond à la différence entre ce que va apporter une action et ce qu’elle va couter.
L’apathie, en revanche, est le contraire de la motivation. Lorsqu’un individu est apathique, il n’a envie de rien.
QUELLES SONT LES DIFFÉRENTES MOLÉCULES QUI JOUENT UN RÔLE DANS LA MOTIVATION ?
Notre cerveau fabrique des molécules, les neuromodulateurs, directement impliquées dans la motivation. Ils agissent soit en augmentant le bénéfice, soit en diminuant le coût.
La première est la dopamine. Elle est bien connue car les neurones dopaminergiques, producteurs de dopamine, meurent dans la maladie de Parkinson, qui est une pathologie causant des troubles moteurs mais aussi une apathie. Le traitement de la maladie de Parkinson correspond à des médicaments pro-dopaminergiques, qui boostent la fabrication de dopamine, avec un effet positif sur les symptômes moteurs mais aussi sur l’apathie.
Dans notre équation, la dopamine joue sur le terme de bénéfice. Elle rend les sujets plus sensibles à la récompense, elle amplifie les perspectives de bénéfices ou la désirabilité des activités. Elle intervient dans un circuit appelé autrefois, « circuit de la récompense ». Un des effets de la cocaïne par exemple est d’augmenter la libération de dopamine, ce qui crée une forme d’excitabilité, les sujets deviennent surmotivés.
Un autre neurotransmetteur est la sérotonine, bien connue car les antidépresseurs sont des médicaments pro-sérotoninergiques, c’est à dire qu’ils empêchent la recapture de la sérotonine afin qu’elle soit disponible en plus grande quantité. Contrairement à la dopamine qui joue sur le terme de bénéfice, la sérotonine allège les coûts des actions. Avec la sérotonine, une action va paraitre moins coûteuse.
Enfin, le dernier neuromodulateur que l’on peut évoquer, qui est aussi le moins connu, c’est la noradrénaline. Comme la sérotonine, elle a une influence sur l’effort à fournir. Peu de traitement utilisent la noradrénaline, aucun en France à notre connaissance. Elle est utilisée aux Etats-Unis contre l’ADHD, troubles de l’attention avec hyperactivité, sans que son mécanisme d’action soit connu. Nous avons mené beaucoup d’expériences sur la noradrénaline. Nos résultats suggèrent que le rôle de la noradrénaline est de gérer l’effort. Que ce soit sur le plan physique ou mental, lorsqu’on fait face à quelque chose de difficile à faire, de plutôt désagréable, la noradrénaline nous permet de faire face à la difficulté, de mobiliser l’énergie nécessaire à l’action.
COMMENT TRAVAILLEZ-VOUS SUR L’APATHIE POUR SA PRISE EN CHARGE CHEZ LES PATIENTS ?
Nous essayons de caractériser, à l’aide de modèles computationnels, le profil motivationnel d’un individu. L’idée est d’utiliser ces modèles pour identifier des sous-types d’apathie. Par exemple si on reprend la dichotomie coût/bénéfice, on peut être apathique parce qu’on sous-estime les bénéfices ou parce qu’on surestime les coûts. Suivant le cas, on ne va pas traiter les patients de la même façon.
L’avantage de notre modèle est d’avoir formalisé de façon extrêmement précise la nature des processus impliqués et de pouvoir les capturer sur le plan quantitatif, pour chaque sujet. Cela permet d’établir des correspondances entre les processus opérés par le modèle et l’activité de systèmes cérébraux spécifiques. Nous espérons que ce genre de modèle participera dans le futur à mieux caractériser les troubles de la motivation et donc à personnaliser davantage la prise en charge des patients.
Souvent l’apathie n’est pas traitée en tant que telle actuellement. Elle est pourtant retrouvée dans de très nombreuses pathologies neurologiques et psychiatriques. On constate également des impasses thérapeutiques, comme dans le cas de la schizophrénie par exemple. La schizophrénie est actuellement traitée grâce à des antipsychotiques qui sont en fait des traitements anti-dopaminergiques. Ils soignent bien ce qu’on appelle les symptômes positifs, comme les délires ou les hallucinations mais les symptômes négatifs comme l’apathie ou le retrait sur soi ne sont pas soignés par ces médicaments et peuvent même être aggravés.