Depuis une quinzaine d’années, les neurochirurgiens perfectionnent une technique fascinante : ouvrir temporairement la barrière hémato-encéphalique via des ultrasons, pour faciliter l’action de molécules thérapeutiques dans le système nerveux central. À l’Institut du Cerveau, l’équipe de Séverine Boillée, en collaboration avec le professeur Alexandre Carpentier du service de neurochirurgie de l’hôpital Pitié-Salpêtrière et la startup CarThera, montrent que cette technique est applicable à la barrière hémato-médullaire. Et dans la maladie de Charcot, les ultrasons seuls pourraient avoir un intérêt ! Ces nouveaux résultats, obtenus chez la souris, sont publiés dans la revue eBioMedicine.
La plupart des médicaments sont incapables de franchir la barrière hémato-encéphalique, cette frontière naturelle qui protège le système nerveux central des substances potentiellement toxiques qui circulent dans le sang. Mais ils sont aussi tenus en échec par un adversaire moins connu : la barrière hémato-médullaire, constituée de petits vaisseaux sanguins, qui joue un rôle similaire autour de la moelle épinière.
La sclérose latérale amyotrophique provoque en effet la dégénérescence progressive des motoneurones — les cellules qui contrôlent les muscles volontaires du corps. Situés dans le cortex cérébral et dans la partie antérieure de la moelle épinière, leur destruction provoque une paralysie progressive des membres, ainsi que des muscles qui commandent la respiration et la déglutition.
Ouvrir une voie vers les motoneurones
Des recherches précédentes* ont montré qu’il était possible d’ouvrir temporairement la barrière hémato-encéphalique en injectant des microbulles dans la circulation sanguine : celles-ci vibrent sous l’effet d’ultrasons de faible intensité, ce qui produit un stress mécanique sur la paroi des vaisseaux. La barrière-hémato-encéphalique est alors perturbée, et laisse passer les molécules thérapeutiques dans le cerveau pendant quelques heures.
Séverine Boillée et ses collègues, en collaboration avec le Pr. Alexandre Carpentier (AP-HP, Sorbonne Université), sont les premiers à évaluer précisément l’efficacité et l’innocuité de cette technique dans la maladie de Charcot en ciblant, cette fois, la moelle épinière. Le but ? Administrer à des souris modèles de la SLA un traitement qui a déjà montré son potentiel chez l’animal – l’hormone de croissance IGF1 – au plus près des motoneurones.
Pour faciliter l’action de la molécule thérapeutique, les chercheurs ont utilisé des ultrasons pulsés dans la région lombaire des animaux, à raison d’une fois par semaine pendant cinq semaines. Leurs résultats sont très encourageants : une seule session a permis de concentrer fortement IGF1 dans la moelle épinière. Et au bout de cinq semaines, les animaux traités par ultrasons ont vu leur espérance de vie augmenter par rapport à ceux qui avaient reçu l’hormone de croissance seule, ou le placebo.
Un phénomène inattendu
« Nous avons également observé un phénomène étonnant. Les souris qui ont reçu des ultrasons sans médicament ont, elles aussi, vécu plus longtemps que les contrôles, précise Séverine Boillée. Autrement dit, les ultrasons seuls sont efficaces pour ralentir l’évolution de la maladie, alors que IGF1 n’a montré aucun bénéfice. »
Et si les ultrasons pulsés pouvaient être utilisé comme un outil thérapeutique à part entière dans la maladie de Charcot ? D’autres études seront bien sûr nécessaires pour comprendre le mécanisme qui a permis de prolonger la vie des souris. Mais l’équipe est déjà sur une piste : les ultrasons auraient eu un effet sur les cellules immunitaires.
« Après cette démonstration, les outils nécessaires à l‘utilisation des ultrasons au niveau de la moelle épinière doivent maintenant être développés chez l’humain », précise la chercheuse. Mais les outils cliniques qui permettent d’intervenir sur le cortex cérébral, eux, sont déjà prêts : le Pr. Alexandre Carpentier, la Pr Gaëlle Bruneteau (AP-HP) neurologue au centre SLA de Paris, et la start-up CarThera vont lancer prochainement l’essai thérapeutique SonoSLA, qui évaluera l’absence de toxicité des ultrasons et la tolérance du dispositif chez les patients SLA, puis leur efficacité sur les symptômes. « Cette stratégie pourrait ouvrir de véritables perspectives thérapeutiques pour les malades », conclue Séverine Boillée.
Financement
Cette étude a été financée par le Laboratoire de Recherche en Technologies Chirurgicales Avancées (LRTCA), la Fondation pour la recherche médicale (FRM), la Société Française de Neurochirurgie (SFNC), le Fonds d’Études et de Recherche du Corps Médical (FERCM) des hôpitaux de Paris, l’Aide à la Recherche des Maladies du Cerveau (ARMC), SLA Fondation Recherche (SLAFR), et le programme Investissements d’avenir.
Déclaration d’intérêts
Alexandre Carpentier est consultant pour la start-up universitaire CarThera, dont il est le fondateur. Il possède des intérêts dans la société et a déposé des brevets, détenus par Sorbonne Université, relatifs aux résultats présentés dans l'article.
Sources
Montero, A. S. et al. Effects of ultrasound-mediated blood-spinal cord barrier opening on survival and motor function in females in an amyotrophic lateral sclerosis mouse model. eBioMedicine, Juillet 2024. DOI : 10.1016/j.ebiom.2024.105235
Autres références (*)
Carpentier, A. et al. Repeated blood-brain barrier opening with a nine-emitter implantable ultrasound device in combination with carboplatin in recurrent glioblastoma: a phase I/II clinical trial. Nature Communications, Février 2024. DOI : 10.1038/s41467-024-45818-7
Sonabend, A. M. et al. Repeated blood–brain barrier opening with an implantable ultrasound device for delivery of albumin-bound paclitaxel in patients with recurrent glioblastoma: a phase 1 trial. The Lancet Oncology, Mai 2023. DOI : 10.1016/S1470-2045(23)00112-2
Carpentier, A. et al. Clinical trial of blood-brain barrier disruption by pulsed ultrasound. Science Translational Medicine, Juin 2016. DOI : 10.1126/scitranslmed.aaf60
L’équipe dirigée par Séverine BOILLEE s’intéresse aux mécanismes qui induisent la dégénérescence des motoneurones dans la SLA et qui pourraient résulter d’une interaction délétère entre ces neurones et les cellules microgliales et macrophages
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