D'où vient notre individualité ? Qu'est-ce qui nous rend uniques dans notre comportement ? Tout cela pourrait-il se trouver dans notre cerveau ? Bassem Hassan et son équipe à l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (Inserm/CNRS/Sorbonne Université/AP-HP) ont découvert un mécanisme aléatoire de formation de circuits neuronaux dans le cerveau de la mouche du vinaigre (drosophila melanogaster) à l'origine d’un comportement individuel. Ces résultats, publiés dans la revue Science, pourrait représenter un principe général de la façon dont certains aspects de l'individualité émergent dans le cerveau.
L'idée que les circuits du cerveau régulent le comportement est une notion qui peut sembler assez évidente. Si un circuit est différent d'un individu à l'autre, alors il pourrait influencer son comportement individuel, et cela pourrait expliquer une partie de l'idiosyncrasie comportementale présente dans la population. Mais comment démontrer cette idée dans un cadre expérimental ?
Bassem Hassan et son équipe travaillent depuis plusieurs années sur ce circuit spécifique du cerveau, un circuit du système visuel appelé Dorsal Cluster Neurons (DCN). Ils ont identifié une variabilité anatomique et développementale stochastique dans ce système, ce qui signifie que le cerveau d'une mouche se développe légèrement différemment du cerveau d'une autre et qu’une fois le développement terminé, ce schéma est stable tout au long de la vie de la mouche.
Mais qu'en est-il du comportement ? Est-il aussi stable et unique que ce circuit ? Pour approfondir cette question, l'équipe a testé ce comportement chez les mouches pendant plusieurs semaines et a montré qu’il restait constant chez une mouche donnée mais différait d'une mouche à l'autre. De plus, à chaque génération, la variabilité du comportement était remise à zéro, suggérant que l'individualité comportementale était davantage le résultat du développement unique de chaque cerveau que du génome spécifique de chaque individu.
Pour répondre à cette question, ils ont mené une série d'expériences, sous la direction du Dr Gerit Linneweber, premier auteur de l'étude, en étroite collaboration avec l'équipe de Peter Robin Hiesinger à Berlin. En modifiant l’organisation du circuit dans le cerveau des mouches et en inhibant les DCN, une expertise acquise en travaillant pendant plus de 10 ans sur ce circuit, ils ont montré que la corrélation anatomique le plus fort s’établissait entre l'asymétrie gauche-droite du câblage d'une zone spécifique du cerveau de la mouche et le comportement qui consistait à prendre un chemin étroit ou large pour atteindre un objet. Ils démontrent également un lien de causalité entre le circuit et le comportement. Le remodelage du câblage du circuit modifie directement le comportement des mouches tout en maintenant la corrélation entre le circuit et le comportement individuel des mouches. Ces résultats établissent ainsi que la façon dont le circuit se développe sous-tend de façon causale, dans une certaine mesure, le comportement de l'animal.
*Bassem Hassan est directeur scientifique et chef d'équipe à l'Institut du Cerveau, Allen Distinguished Investigator et "Einstein Visiting Fellow" de l'Institut de la Santé de l'Université libre de Berlin.
Sources
A neurodevelopmental origin of behavioral individuality in the Drosophila visual system.Linneweber GA et al, Science. March 2020.