L’effet « bouba-kiki » est un curieux phénomène visuel et auditif. Laurent Cohen et Nathan Peiffer-Smadja à l’Institut du Cerveau et de la moelle épinière en ont élucidé les bases cérébrales !
Regardez bien ces deux images. Si vous deviez leur attribuer un nom, laquelle nommeriez-vous « KIKI » et laquelle « BOUBA » ?
Il s’agit d’un phénomène assez simple d’association entre certaines formes et des sons de la parole. Une des exceptions à l’idée générale selon laquelle les mots n’ont généralement pas de liens avec leur sens. Le mot « table » n’a ainsi rien à voir avec l’objet lui-même. Parmi les exceptions à ce principe, on retrouve par exemple les onomatopées, « miaou » ayant effectivement un lien direct avec le miaulement du chat. Dans le test ci-dessus, il y a de fortes chances pour que vous ayez attribué le nom « KIKI » à la forme pointue et « BOUBA » à la forme ronde. Cet effet « bouba-kiki », décrit depuis le début du XXe siècle, fait partie de ces exceptions.
Cette association entre formes et sons est-elle le résultat d’une réflexion consciente, en réponse à une question particulière posée par l’expérimentateur, ou bien reflète-t-elle un lien cérébral étroit et automatique entre la vision et l’audition ?
Pour répondre à cette question, les chercheurs ont présenté aux participants un son (kiki, bouba, keti, lujo, etc) et une forme, pointue ou ronde, en leur demandant de prendre deux décisions : la forme est-elle pointue ou ronde, et le son contient-il un o ou un i, et de répondre en appuyant sur des boutons. L’astuce est que lors de certaines phases de l’expérience, la même main était utilisée pour répondre à des sons et des formes « correspondants », par exemple les formes rondes et le son o, alors qu’à d’autres moments, la même main était utilisée pour des sons et des formes « conflictuelles », par exemple les formes pointues et le son o. L’idée est qu’il est plus difficile de répondre en allant contre les associations automatiques. En effet, les participants ont pris plus de temps pour répondre et ont fait plus d’erreurs lorsqu’une même main devait répondre à des formes et des sons qui « n’allaient pas ensemble ».
Les chercheurs ont ensuite exploré les mécanismes de l’effet bouba-kiki au moyen de l’IRM fonctionnelle, en étudiant les activations cérébrales lors de la présentation d’une forme, d’un son, ou de l’association d’une forme et d’un son, correspondant ou ne correspondant pas. Ils ont observé des effets de la congruence entre sons et formes à différents endroits du cerveau. D’une part, dans des régions préfrontales plutôt associées aux décisions volontaires et réfléchies, mais aussi dans le cortex auditif et le cortex visuel.
Les activations dans les régions qui assurent la perception auditive et visuelle suggèrent que de façon automatique, nous ne voyons pas une forme et nous n’entendons pas un son de la même manière, selon qu’ils ont ou non une sorte de correspondance qui franchit les frontières des sens.
Aussi gratuit qu’il paraisse au premier abord, le phénomène bouba-kiki est directement impliqué par exemple dans l’invention des noms de marques. Trouver un nom « vendeur » pour une voiture ou un médicament exige de réfléchir aux sons, aux images, aux émotions, aux souvenirs, que ce nom évoquera dans l’esprit des acheteurs potentiels.
Sources
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30503933/
Peiffer-Smadja N, Cohen L. Neuroimage. 2018 Nov 29.