Dans un article à paraitre dans la prestigieuse revue Nature, Mehdi Touat et Franck Bielle (AP-HP/Sorbonne Université) de l’équipe « Génétique et Développement des Tumeurs Cérébrales » de l’Institut du Cerveau (Inserm/CNRS/Sorbonne Université) et des services de neuro-oncologie et de neuropathologie de l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP en collaboration avec Yvonne Li, Rameen Beroukhim, Pratiti Bandopadhayay et Keith Ligon du Dana-Farber Cancer Institute (Harvard Medical School, Boston), mettent en évidence des changements génétiques dans certains gliomes en récidive, à l’origine de l'acquisition de résistance à la chimiothérapie. L’étude, au-delà de son approche très complète sur différents aspects d'analyses moléculaire et mécanistique, traite du plus grand échantillon jamais exploré en matière de tumeurs cérébrales.
Les gliomes sont les tumeurs cérébrales primitives malignes les plus fréquentes chez l’adulte. Leur traitement est particulièrement difficile, non seulement du fait de leur localisation limitant l'étendue de la chirurgie, mais aussi car elles développent de façon quasi systématique une résistance aux traitements par radiothérapie et chimiothérapie. Les gliomes finissent ainsi par récidiver. Cependant, à l'échelle individuelle, déterminer pourquoi et comment ils échappent aux traitements reste encore très difficile en clinique.
La présente étude a réuni plusieurs centres experts en neuro-oncologie : l’équipe de neuro-oncologie de l’Institut du Cerveau, les départements de neuro-oncologie et de neuropathologie et la Tumorothèque de l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP/Sorbonne Université/SIRIC CURAMUS), et les départements de neuro-oncologie et de neuropathologie et équipes de recherche du Dana-Farber Cancer Institute, Brigham and Women's Hospital et Boston Children's Hospital (Harvard Medical School, Boston). En mettant leurs ressources en commun, et grâce à l'intégration de banques publiques et de données issues d'un partenariat avec l'entreprise Foundation Medicine, ils ont obtenu un échantillon global de 10 000 tumeurs, le premier de cette taille pour une étude en cancérologie sur un seul type de cancer.
Dans un premier temps, les chercheurs ont établi la prévalence du phénomène d’hypermutation, retrouvé jusqu'à 50% des récidives dans des sous-types de gliomes présentant une forte chimiosensibilité lors du diagnostic initial. Ils montrent une association claire entre le phénomène d’hypermutation et le témozolomide, la chimiothérapie la plus couramment utilisée pour traiter les gliomes. Les hypermutations ne se développent qu’après exposition au traitement par témozolomide et qui plus est si celui-ci a été efficace sur la première tumeur.
La deuxième étape du travail a été de comprendre le mécanisme mis en jeu dans l’apparition de cette résistance. Les scientifiques ont donc cherché la présence d’altérations de gènes spécifiques dans ces tumeurs hypermutées. Ils ont identifié 4 gènes mutés de façon quasi systématique, faisant tous partie d’une voie de réparation de l’ADN appelée le « Mismatch repair » ou MMR (système de Réparation des mésappariements de l’ADN). En générant des mutations artificielles de ces gènes dans des modèles expérimentaux, ils mettent en évidence l’apparition d’une résistance spécifique au témozolomide. D’autre part, in vitro, le témozolomide appliqué à des cellules présentant une inactivation des gènes MMR produit la même hypermutation que celle présente chez les patients.
Les anomalies du MMR sont également fréquemment retrouvées dans d’autres types de cancers comme les cancers colorectaux, endométriaux ou de l’estomac associés à une forte réaction immunitaire. Dans les gliomes, ces anomalies du MMR acquises sous traitement ont des effets très particuliers qu’on ne retrouve pas dans les autres cancers, notamment une réponse du système immunitaire beaucoup plus faible. Les tumeurs cérébrales parviendraient à mettre en œuvre des mécanismes d’immunosuppression tellement forts que malgré l’accumulation des dizaines de milliers de mutations, elles ne sont toujours pas reconnues par le système immunitaire comme des cellules anormales à détruire.
Sources
Mechanisms and therapeutic implications of hypermutation in gliomas, Nature 2020.
https://www.nature.com/articles/s41586-020-2209-9