Quoi de plus énigmatique que le rêve ? Cette expérience que nous vivons chaque nuit, même si nous ne nous en souvenons pas au réveil. Que peuvent-ils nous apprendre ? Les progrès des neursociences permettent aujourd’hui de mieux comprendre ce phénomène si mystérieux. Dans une revue publiée dans Lancet Neurology, Francesca Sidari, Katja Valli et Isabelle Arnulf, cheffe du service des pathologies du sommeil à l’hôpital Pitié-Salpêtrière et chercheuse à l’Institut du Cerveau, explorent les différents aspects de nos rêves et de nos cauchemars et les perspectives dans les maladies neurologiques.
Définir le rêve et le cauchemar
Le rêve est un aspect mystérieux de notre cognition dans lequel nous plongeons chaque nuit… même si nous ne nous en souvenons pas toujours. Il fascine, il questionne, et il est l’objet d’interprétation et de conclusions les plus variées. « On définit le rêve comme une expérience subjective au cours du sommeil, dont on se souvient au réveil. Ceci inclut des expériences du rêve très variées, qui vont de simples impressions, ou de pensées jusqu’à de véritables aventures oniriques. » explique Isabelle Arnulf.
Les cauchemars quant à eux sont une forme de rêve saisissant, déplaisant qui inclut souvent une forme de menace à la sécurité, la survie, l’estime ou l’intégrité physique du sujet, conduisant alors à son éveil. Ils se distinguent des « mauvais rêves », riche en émotions négatives mais qui ne réveillent pas le dormeur.
Pourquoi certains se rappellent de leur rêve et d'autres pas…
En moyenne, les individus rapportent se souvenir d’un rêve par semaine, mais certains peuvent se rappeler de leurs rêves tous les matins quand d’autres ne se souviennent d’aucun. Les études conduites sur le sujet mettent en évidence plusieurs facteurs dans le rappel des rêves comme l’âge, le sexe, la personnalité, la qualité du sommeil ou encore l’attitude vis-à-vis des rêves. En effet, l’intérêt pour les rêves, le fait de tenir un journal des rêves ou de participer à des études sur le sujet, favorise le rappel.
Le contenu des rêves varie aussi beaucoup selon la personnalité, le sexe et l’âge. « Les femmes ont généralement plus d’émotions positives dans leurs rêves à l’adolescence et à un âge avancé, et plus d’émotions négatives à l’âge adulte. En revanche, les émotions négatives dans les rêves des hommes atteignent un pic à l’adolescence et au milieu de l’âge adulte, et sont au plus bas au début de l’âge adulte et dans la vieillesse. » précise Isabelle Arnulf.
Les fonctions du rêve
Plusieurs théories ont été avancées sur les fonctions du rêve. Il est vu comme un gardien du sommeil, ou participant à l’atténuation des émotions négatives ressenties pendant la journée, mais aussi associé à la consolidation de la mémoire. D’autres hypothèses lui proposent un rôle de simulateur d’interactions sociales et de menace ou de jeu. Enfin, certains le considèrent comme un simple épiphénomène. « Il n’y a toujours pas de consensus sur le sujet, car il est très difficile d’évaluer scientifiquement les conséquences du rêve sur l’esprit en éveil et sur le comportement » conclut Isabelle Arnulf.
Rêver… dans notre cerveau
Mais existe-t-il des marqueurs biologiques du rêve ? des mécanismes dans notre cerveau caractéristique de cet état si particulier ? « Le rêve possède de véritables composantes sensorielles et perceptuelles. On peut voir, entendre, parfois même gouter ou sentir dans nos rêves. Les expériences que nous y vivons ne viennent pas de nulle part non plus, mais souvent d’objets, de lieux ou de personnes qui nous sont familiers » continue Isabelle Arnulf.
Nos rêves sont associés à des changements d’activité de certaines régions du cerveau par rapport à l’état d’éveil. Les régions limbiques et para-limbique comme l’amygdale, l’hippocampe ou le cortex cingulaire antérieur, sont particulièrement actives pendant le sommeil paradoxal au cours duquel nos rêves sont les plus vifs. Compte-tenu de leur rôle important pour les émotions à l’état d’éveil, ils pourraient jouer un rôle similaire sur les aspects émotionnels du rêve. Au contraire, les réseaux fronto-pariétaux sont peu actifs, ce qui aurait pour conséquences notre manque de contrôle et de détachement vis-à-vis du rêve. Enfin, les régions postérieures temporales et occipitale sont aussi activées, et contribueraient à la nature visuelle du rêve. Mais surtout, l’expérience d’avoir rêvé (que l’on se souvienne ou qu’on vienne juste d’oublier le contenu au réveil), en sommeil lent comme en sommeil paradoxal (car de nombreux rêves surviennent en dehors du sommeil paradoxal), est associée à l’activation de la région postérieure du cerveau, comme cela vient d’être démontré en utilisant de l’électroencéphalographie avec 360 électrodes.
Un état encore plus particulier du rêve est ce qu’on appelle le rêve lucide. Dans celui-ci, le dormeur est conscient de rêver. Dans certains cas, il peut même agir sur le scénario de son rêve. Si beaucoup de personnes rapportent l’expérience d’un rêve lucide, peu nombreuses sont celles qui en font régulièrement et qui sont réellement capables de contrôler leur rêve. Ces rêveurs lucides sont extrêmement précieux pour la recherche sur les rêves. Avec de l’entraînement, ils peuvent être capables d’interagir pendant leur sommeil avec un chercheur au cours d’une étude au laboratoire, grâce à un code oculaire (au cours du sommeil paradoxal, les muscles du corps sont paralysés à l’exception des yeux). Des progrès majeurs dans l’étude de la conscience en sommeil paradoxal, des interactions entre le corps et le rêve, et de la temporalité du rêve ont été réalisés grâce à ces individus.
Les comportements respiratoires en sommeil paradoxal reflètent le contenu mental chez les narcoleptiques rêveurs lucides :
Les rêves dans les maladies neurologiques
Des avancées sur les rêves anormaux dans les troubles neurologiques ont été réalisés grâce à l’étude de patients atteints des troubles comportementaux en sommeil paradoxal, isolés ou associés à de la maladie de Parkinson, ou encore chez ceux atteints de narcolepsie.
Ces troubles comportementaux en sommeil paradoxal se manifestent par des cauchemars agités et des rêves vécus physiquement chez des sujets adultes. Au cours de cette phase du sommeil, la plupart des muscles sont normalement paralysés par un verrou. Or, ces patients, chez lesquels ce mécanisme de verrou est perturbé, continuent de se mouvoir et de parler. Le contenu des rêves est en général cohérent avec les comportements présentés par le sujet. Ainsi, s’il se bat dans son rêve, des mouvements violents similaires peuvent se produire dans la réalité.
Somnambulisme et trouble comportemental en sommeil paradoxal : des caractéristiques communes ?
La majorité des patients touchés par ce type de trouble développe par la suite des formes de syndrome parkinsonien ou de démence dans les années qui suivent. Les patients atteints de la maladie de Parkinson présentent d’ailleurs beaucoup de troubles du sommeil, comme des insomnies ou une fatigue excessive dans la journée. Leurs rêves sont souvent particulièrement saisissants et la fréquence des cauchemars est plus élevée que la normal. Les troubles comportementaux en sommeil paradoxal affectent ainsi près de 60% des patients touchés par la maladie de Parkinson.
Nouveau marqueur précoce dans la maladie de Parkinson
Les troubles comportementaux en sommeil paradoxal représentent également un marqueur intéressant pour distinguer la démence à corps de Lewy, dans laquelle ils sont très présents, de la maladie d’Alzheimer.
Dans la narcolepsie, un trouble rare du sommeil qui touche environ 0.02% de la population générale, les individus sont sujets à des endormissements brusques qui ont la particularité de débuter souvent immédiatement par une phase de sommeil paradoxal, une situation impossible à rencontrer en temps normal. Cet état particulier semble influer sur leurs rêves, rapportés comme plus vif, plus riches en émotions, positives comme négatives. Les narcoleptiques sont souvent d’excellents rêveurs lucides. Une capacité qui a été associée à une plus grande créativité chez ces individus par rapport à la population générale.
Quand la narcolepsie rend plus créatif !
https://institutducerveau-icm.org/fr/actualite/narcolepsie-rend-plus-creatif/
Pourquoi rêvons-nous ?
Les progrès technologiques en neuroimagerie permettent de mieux en mieux d’associer le phénomène des rêves à des activités précises dans notre cerveau. Il est même aujourd’hui possible de déterminer de façon extérieure le contenu de certains rêves. Cette connaissance toujours plus fine présente des perspectives importantes pour la recherche sur le sommeil et les rêves. « Comprendre comment nous rêvons nous amène progressivement à découvrir pourquoi nous dormons et pourquoi nous rêvons. Cela peut avoir des implications thérapeutiques pour traiter les patients dont les rêves sont perturbés. Mieux comprendre comment le cerveau génère ces rêves, parfois si complexes, sans aucune influence extérieure pendant le sommeil, pourrait notamment nous apporter des informations précieuses sur les hallucinations dans certains troubles neuropsychiatriques. » conclut Isabelle Arnulf.
Sources
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32949545/
Siclari F, Valli K, Arnulf I. Lancet Neurol. 2020.