Les empreintes qui tapissent l’intérieur d’une boite crânienne peuvent-elles révéler avec fiabilité l’anatomie du cerveau qu’elle contient ? L’étude des crânes fossiles peut-elle ainsi nous éclairer sur certaines capacités de nos ancêtres ? Autrement dit une « paléoneurologie » fiable est-elle possible ? C’est la question que s’est posée une équipe scientifique dirigée par le paléoanthropologue Antoine Balzeau, chercheur CNRS au laboratoire Histoire naturelle de l’Homme préhistorique (CNRS/MNHN/UPVD), en se soumettant à un test en aveugle sur un humain actuel. Ces résultats sont publiés dans le Journal of Anatomy le 8 novembre 2023.
Comme tous les tissus mous, le cerveau ne fossilise pas. Pour étudier celui de nos ancêtres, ou ceux d’espèces humaines éteintes, et en déduire certaines de leurs caractéristiques ou capacités cognitives, les paléoanthropologues disposent donc de très peu d’indices sur la forme, la taille et l’anatomie fine du cerveau. La seule solution à leur portée consiste à explorer la surface interne du crâne, appelée endocrâne. Celle-ci porte en effet des empreintes qui pourraient correspondre aux circonvolutions sillonnant la surface du cerveau et marquant les limites entre les différentes régions cérébrales. Mais les chercheurs s’interrogent sur la fiabilité de leurs déterminations et sur le lien réel entre endocrâne et cerveau. Jamais encore il n’avait été possible de vérifier si ce qui est observé sur l’endocrâne correspond précisément aux sillons visibles sur le cerveau.
Pour évaluer la pertinence des identifications de sillons à partir d’un endocrâne, Antoine Balzeau, chercheur CNRS au laboratoire Histoire naturelle de l’Homme préhistorique (CNRS/MNHN/UPVD), a mis à l’épreuve 14 experts de domaines variés étudiant l’évolution du cerveau (paléontologues, neurologues et primatologues) et travaillant régulièrement sur les endocrânes. Pour les besoins de cette étude, réalisée dans le cadre du projet ANR PaleoBRAIN et publiée dans Journal of Anatomy, il leur était demandé d’interpréter les marques observées sur l’image de l’endocrâne d’un volontaire actuel. Ce cas permet en effet de disposer non seulement de la forme de l’endocrâne mais aussi de celle du cerveau par différentes techniques d’imagerie, grâce à des données originales obtenues sur la plateforme CENIR de l’Institut du Cerveau. Ainsi, la correspondance réelle entre les positions des sillons du cerveau et les marques visibles sur l’endocrâne était disponible, alors que les experts travaillaient « à l’aveugle », comme ils sont contraints de le faire sur les endocrânes fossiles.
De nettes différences ont été observées entre les identifications proposées par les experts et les sillons du cerveau réel. Certaines marques, correctement repérées, ont notamment été associées à un mauvais sillon. Par ailleurs, les résultats s’avèrent bien meilleurs dans la partie inférieure de l’endocrâne que dans sa partie supérieure.
Cette étude devrait aider les paléoneurologues à avoir une meilleure conscience des limites de leurs interprétations et à mieux comprendre la relation entre l’endocrâne et le cerveau des humains, actuels ou fossiles. Elle ouvre aussi la voie à des recherches destinées à augmenter la qualité de leurs identifications.
Sources
What do brain endocasts tell us? A comparative analysis of the accuracy of sulcal identification by experts and perspectives in palaeoanthropology, Journal of Anatomy (2023)
Labra N.*, Mounier A.*, Leprince Y., Rivière D., Didier M., Bardinet E., Santin M.D., Mangin J.F., Filippo A.*, Albessard-Ball L.*, Beaudet A., Broadfield D., Bruner E., Carlson K.J., Cofran Z., Falk D., Gilissen E., Gómez-Robles A., Neubauer S., Pearson A., Röding C., Zhang Y., Balzeau A.*
DOI 10.1111/JOA.13966
*Ces auteurs font partie du laboratoire HNHP (CNRS/MNHN/UPVD)