Une étude conduite au Zuckerman Institute de l’Université de Columbia (États-Unis) par Jérôme Munuera, co-premier auteur et chercheur à l’Institut du Cerveau, et ses collaborateurs, a permis de développer le premier modèle fonctionnel de l’abstraction dans le cerveau. Les résultats sont publiés dans la prestigieuses revue Cell.
Comment le cerveau représente-t-il des concepts abstraits, ces règles implicites qui gouvernent nos échanges avec le monde extérieur ? Nous sommes en permanence confrontés à des quantités astronomiques d’informations de la part de notre environnement : ce que nous voyons, entendons, sentons, les objets avec lesquels nous interagissons ou encore les situations que nous vivons. Afin de s’y retrouver, notre cerveau intègre l’ensemble de ces facteurs explicites, qu’il simplifie et agrège pour créer des règles implicites. Pour savoir qu’une maison est bien une maison, par exemple, alors qu’il en existe de millions de différentes, notre cerveau identifie des caractéristiques communes qui lui permettent d’identifier implicitement ce qui est une maison et ce qui ne l’est pas.
Une question qui reste en suspens est de savoir comment notre cerveau parvient à former de tels concepts. Dans nos environnements extrêmement complexes, la plupart des modèles d’apprentissage par renforcement, classiquement utilisés pour expliquer l’apprentissage par les individus mais également les phénomènes de prise de décision, échouent à générer des résultats à cause du trop grand nombre de dimensions à prendre en.
Une étude conduite au Zuckerman Institute de l’Université de Columbia (États-Unis) impliquant Jérôme Munuera, co-premier auteur et chercheur à l’Institut du Cerveau, a mesuré l’activité cérébrale dans différentes régions du cerveau et réseaux de neurones au cours de la mise en place de règles implicites.
Ils mettent en évidence une « géométrie de l’abstraction ». Au cours de la réponse neuronale, le nombre de dimensions est réduit à l’essentiel pour ne retirer que les éléments principaux d’un contexte et générer le comportement le plus optimal sans saturer le cerveau d’informations inutiles. Notre cerveau limite donc le nombre de dimensions et ne prend en compte que les plus pertinentes pour comprendre la règle qui régit l’environnement dans lequel il se trouve et adapter son comportement.
De plus, lorsqu’il passe dans un autre environnement, le cerveau est capable, par un phénomène de généralisation, de récupérer des éléments de la représentation générée dans un contexte précédent pour n’en extraire que les dimensions pertinentes et les appliquer à cette nouvelle situation.
Cette découverte est un premier pas pour comprendre comment notre cerveau donne du sens au monde qui nous entoure. Elle ouvre des perspectives dans certains déficits neuropsychiatriques dans lesquels une absence de géométrie de l’abstraction ou une réduction du nombre de dimensions dans la réponse neuronale pourrait expliquer une incapacité à penser de manière abstraite ou au contraire la création des règles qui n’ont pas lieu d’être entrainant des représentations fausses du monde.
Les implications de cette découverte touchent également le domaine de l’intelligence artificielle. En comprenant mieux l’intégration des différentes dimensions dans le cerveau et les réseaux de neurones, il pourrait être possible de l’appliquer à des algorithmes et développer de nouvelles approches plus performantes d’apprentissage-machine (machine-learning).
Sources
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33058757/
Bernardi S, Benna MK, Rigotti M, Munuera J, Fusi S, Salzman CD. Cell. 2020 Oct 9