La plasticité cérébrale, le processus dynamique se déroulant dans notre cerveau lorsque nous apprenons par nos expériences, varie grandement avec l’âge. Quels en sont les mécanismes ? Une étude conduite par l’équipe d’Alberto Bacci à l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (CNRS/Inserm/Sorbonne Université) a découvert le mécanisme sous-tendant la plasticité corticale sensorielle. Les résultats sont publiés dans la revue eLife.
Dans le cortex cérébral, la plasticité sensori-motrice est à la base de notre capacité à apprendre des choses et des compétences. Ce processus, accompagné d’un réarrangement des connexions cérébrales, est particulièrement intense au cours des fenêtres spécifiques du développement qu’on appelle les « périodes critiques ». Au cours de celles-ci, les circuits neuronaux s’adaptent au flux très important d’informations sensorielles reçues du monde extérieur. Ces fenêtres temporelles de plasticité sensori-motrices sont cruciales, par exemple, pour apprendre parfaitement une nouvelle langue, ou devenir excellent au violon ou au football.
Les périodes critiques du cortex cérébral sont des périodes transitoires, achevées avec l’aide de plusieurs acteurs moléculaires. Parmi ceux-ci, les filets péri-neuronaux (PNN) extracellulaires, composés d’un ensemble de protéines et de sucres complexes liés entre eux, jouent un rôle majeur pour « fermer » cette fenêtre de plasticité cérébrale. Ils forment une toile dense autour d’un type spécifique de neurones inhibiteurs, les cellules en panier (parvalbumin (PV) basket cells), uniquement à la fin de la période critique, limitant la plasticité chez les adultes. Les cellules en panier sont très importantes pour synchroniser l’activité de groupes de neurones, créant ainsi des motifs rythmiques d’influx nerveux. Dans le cortex visuel, ces motifs sont la façon qu’a le cerveau de représenter les informations provenant des yeux.
Dissoudre ces PNNs grâce à une enzyme entraîne une réouverture de la plasticité corticale chez l’adulte, mais les mécanismes exacts restent à élucider. L’équipe d’Alberto Bacci s’est penchée sur ce mécanisme dans le cas de la plasticité corticale visuelle. Ce type de plasticité peut moduler biais de dominance oculaire, le fait que l’hémisphère droit du cerveau reçoive plus d’informations sensorielles de la part de l’œil gauche et vice versa. Fermer un œil au cours de la période critique entraine une perte de ce biais, due à des changements de plasticité induit par la réduction de signaux sensoriels transmis depuis l’œil fermé. Les adultes ne peuvent pas modifier cette dominance oculaire à moins de retirer les filets péri-neuronaux. Quels sont les mécanismes derrière ce phénomène ?
Tous ces effets se retrouvent par ailleurs fortement réduits en cas de privation sensorielle, c’est-à-dire en fermant l’un des deux yeux. Cela indique que les effets des PNNs sur les signaux provenant du thalamus vers les cellules en panier dépendent principalement de l’expérience sensorielle visuelle.
Dans leur ensemble, ces résultats dévoilent le mécanisme sous-jacent à la réouverture de la plasticité corticale dépendante des PNNs. Ces expériences suggèrent qu’après la période critique, les cellules en panier génèrent les filets péri-neuronaux pour se protéger des signaux trop forts provenant du thalamus, au dépend de la plasticité. Ce mécanisme est cohérent avec le fait que la plasticité, certes essentielle au cours du développement pour intégrer toutes sortes d’expériences et de compétences, doive être partiellement mise de côté pour consolider notre modèle interne de ce que nous voyons, entendons ou expérimentons.
Cette découverte pourrait également avoir des implications majeures dans certaines pathologies caractérisées par une perturbation de la perception sensorielle comme la schizophrénie ou l’autisme. En effet, des études ont mis en évidence une perturbation de l’accumulation des PNNs autour des cellules en panier dans ces pathologies. Etudier le rôle de ces filets péri-neuronaux plus en détails pourrait permettre aux chercheurs de développer de nouveaux traitements pour ces troubles. Plus généralement, cela ouvrirait la voie à une meilleure compréhension des mécanismes par lesquels les circuits corticaux perdent leur capacité à former de nouvelles connexions et ainsi comment nous apprenons et stockons les informations en mémoire.
Ce travail a été réalisé en collaboration avec deux groupes de recherche à Pise en Italie.
Sources
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30561327/
Faini G, Aguirre A, Landi S, Lamers D, Pizzorusso T, Ratto GM, Deleuze C, Bacci A. Elife. 2018 Dec 18