Une équipe internationale de chercheurs, notamment du Muséum national d’Histoire naturelle, du CNRS et de la plateforme de neuroimagerie (CENIR) de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière, publie aujourd’hui dans la revue Nature les premières observations sur le développement du crâne du cœlacanthe actuel.
Le cœlacanthe Latimeria est un animal des profondeurs marines apparenté aux vertébrés terrestres. Depuis sa découverte il y a 80 ans, l’étude du cœlacanthe a apporté d’importantes informations sur les changements évolutifs des vertébrés à l’origine des tétrapodes[1]. Il est en effet le seul vertébré actuel partageant des caractéristiques anatomiques avec les formes fossiles du Dévonien (-410 à -360 millions d’années) à l’origine des vertébrés terrestres, et notamment un crâne divisé en deux portions par une articulation intracrânienne.
Les scientifiques ont regroupé des spécimens à différents stades de développement conservés dans plusieurs collections d’histoire naturelle, dont celle du Muséum national d’Histoire naturelle. Ces spécimens ont été imagés par tomographie à rayons X et IRM afin d’observer leur anatomie interne. Ces modèles 3D ont permis d’étudier les changements de forme et d’agencement d’importantes structures de la tête durant le développement, tels que le cerveau, l’articulation intracrânienne, et la notochorde (un tube s’étirant sous le cerveau et la moelle épinière). Contrairement à ce qui est habituellement observé chez les autres vertébrés, la notochorde ne dégénère pas chez Latimeriaet grossit énormément tandis que la taille relative du cerveau diminue de manière exceptionnelle. L’étonnant développement de la notochorde apparaît affecter celui du cerveau, et être à l’origine de la formation de l’articulation intracrânienne. (schéma ici)
Ces résultats apportent des informations inédites sur l’origine des caractéristiques du crâne du cœlacanthe, et ouvrent de nouvelles voies de recherche sur l’évolution du crâne des vertébrés.
[1]Les vertébrés ayant deux paires de membres munis de doigts. Aujourd’hui, ils englobent les mammifères, les reptiles (incluant les oiseaux) et les amphibiens.
3 questions à Mathieu Santin, responsable imagerie de la plateforme IRM 11,7 Tesla de l’Institut du Cerveau - ICM et co-auteur de l’étude :
Quelle a été votre contribution à ce travail ?
Nous avons obtenu des images en 3D de la tête de ces cœlacanthes grâce à une technique d’imagerie de pointe : l’IRM à très haut champ (11,7 Tesla). Au-delà de cet outil unique, nous avons également apporté notre savoir-faire pour l’étude d’échantillons tels que ceux-ci. Nous avons ainsi pu imager en trois dimensions et dans leur intégralité deux des six modèles de l’étude, en particulier le stade juvénile du cœlacanthe.Ces images ont ensuite été intégrées dans un modèle de segmentation de structures pour en analyser les caractéristiques anatomiques.
Quelles sont les spécificités de cette technique d’imagerie 11,7 Tesla ?
L’IRM 11,7 Tesla que nous déployons sur notre plateforme est un appareillage rare. Il n’en existe que très peu en Europe, la plateforme d’imagerie de l’Institut du Cerveau - ICM est d’ailleurs pionnière dans le domaine puisque nous avons été les premiers en France à réunir IRM très haut champ et antenne cryogénique. Ceci permettant d’imager nos échantillons avec une résolution telle que nous tendons vers la microscopie IRM.
Contrairement au rayonnement synchrotron (rayons X) également utilisé dans l’étude pour sa très haute résolution, de l’ordre de quelques micromètres (1/1000 de millimètre), l’IRM présente une relative facilité d’emploi ainsi qu’un excellent contraste des tissus mous.
En résumé l’IRM 11.7 Tesla permet d’imager de façon simple, globale et reproductible des spécimens uniques et fragiles comme le cœlacanthe. La résolution et le contraste des images sont exceptionnels, ce qui représente un atout considérable pour ces études.
C’est une étude assez différente de celles habituellement menées sur la plateforme ?
Certes, ce type de projet est assez différent des travaux que nous menons d’ordinaire mais tout aussi passionnant, car cela apporte une nouvelle perspective, un grand angle sur les neurosciences ou d’ordinaire nous nous intéressons globalement au « temps court ». Ici nous sommes vraiment dans le domaine du « temps long », l’évolution au sens large.
Ceci fait bien évidemment partie des recherches fondamentales importantes pour l’avancée des connaissances que nous devons impérativement mener. Nous travaillons avec le Muséum d’Histoire naturelle depuis 2014 sur le cœlacanthe et cette publication est l’aboutissement d’un travail particulièrement original sur ces échantillons extrêmement rares et précieux. Nous comptons bien sûr poursuivre notre travail sur les cerveaux d’autres spécimens de musée.
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Sources
Neurocranial development of the coelacanth and the evolution of the sarcopterygian head.Dutel, H., Galland, M., Tafforeau, P., Long, J.A., Fagan, M.J., Janvier, P., Herrel, A., Santin, M., Clément, G., Herbin, M. Nature 2019 – http://dx.doi.org/10.1038/s41586-019-1117-3