Un panneau publicitaire géant clignote au bord d’une route de campagne. Pourquoi attire-t-il davantage notre attention que d’autres éléments du décor ? À l’Institut du Cerveau, Tal Seidel Malkinson, Jacobo Sitt, Paolo Bartolomeo et leurs collègues montrent que l’attention exogène — c’est-à-dire la capacité à être attiré involontairement par un élément précis de notre environnement — est construite dans le cortex de manière graduelle, de l’arrière vers l’avant du cerveau, au sein de trois réseaux fronto-pariétaux. Ces réseaux de neurones nous permettraient notamment d’explorer l’espace de manière efficace en négligeant les objets qui nous sont déjà familiers, au profit de stimuli nouveaux ou inattendus. Les résultats des chercheurs sont publiés dans la revue Nature Communications.
Dans un monde où nous sommes continuellement bombardés de nouvelles informations — notifications, publicités, courriels, actualités — nous peinons à discipliner notre attention pour qu’elle ne soit pas sans cesse happée par des événements qui échappent à notre contrôle. Mais est-il seulement possible de filtrer et hiérarchiser volontairement nos perceptions ? Pourquoi sommes-nous distraits si facilement ?
« L’attention exogène, c’est-à-dire le processus cognitif qui permet à un stimulus visuel saillant de s’imposer à nous, est automatique. Quand un collègue de travail passe tout près de notre bureau, notre attention est détournée de notre écran d’ordinateur malgré nous, explique Tal Seidel Malkinson (Université de Lorraine), anciennement post-doctorante dans l’équipe PICNIC à l’Institut du Cerveau, aujourd’hui professeure et chercheuse en neurosciences. Ce phénomène est familier à tous ceux qui aiment rester concentrés ! Pourtant, les mécanismes cérébraux sur lesquels il repose sont encore mal connus. »
Le support neuronal de l’attention exogène est habituellement étudié par IRM fonctionnelle ou électroencéphalographie (EEG), des techniques limitées par une mauvaise résolution temporelle ou spatiale. « Pour comprendre comment le cerveau construit l’attention aux stimuli visuels, qui implique des réseaux de neurones très étendus et très rapides, nous avions besoin d’enregistrer l’activité électrique des neurones de manière précise dans tout le cortex », ajoute la chercheuse.
Au plus près des neurones
Dans ce but, Tal Seidel Malkinson et ses collègues ont recruté 28 patients qui bénéficiaient d’électrodes profondes dans le cadre du bilan pré-chirurgical d’une épilepsie résistante aux traitements. Placées de manière personnalisée pour chaque patient, les électrodes couvraient environ 1400 zones de contact au cœur du cerveau, donnant aux chercheurs une vision très fine de l’activité neuronale lors de tests sollicitant l'attention.
Les participants devaient regarder deux boites, séparées par une petite croix permettant de fixer leur attention. De temps en temps, une cible apparaissait dans la boite de gauche ou dans la boite de droite : le sujet devait alors appuyer sur une touche. Enfin, les cibles étaient précédées d’indices visuels périphériques capables de capturer l’attention — et annonçant la zone d’apparition de la cible (indice valide), ou la zone opposée (indice non valide).
Pour interpréter les données très complexes issues des enregistrements intracérébraux, Tal Seidel Malkinson et Jacobo Sitt (Inserm), ont développé une méthode d’apprentissage non supervisé : un algorithme regroupe les électrodes qui ont une activité similaire dans le temps afin de faire apparaître la dynamique des zones étudiées. Ce parti-pris permet aux chercheurs d’observer l’activité cérébrale en réduisant au maximum l‘influence de leurs préconceptions théoriques.
Le gradient de l’attention en action
Leurs résultats ont permis d’identifier trois réseaux corticaux qui étaient activés successivement de l’arrière vers l’avant du cerveau lorsque l’attention des participants était captée par des stimuli visuels… comme si l'attention se développait graduellement dans le cortex jusqu’à la réaction finale du sujet — ici, appuyer sur un bouton.
« Il existe un véritable continuum d’activité dans le cortex. Dans les réseaux identifiés dans les régions pariéto-occipitales, l’activité cérébrale traite d’abord l’information visuelle. Puis dans les régions frontales, elle reflète la réponse comportementale, explique Tal Seidel Malkinson. Nous avons montré que l’attention émerge à l’intersection entre ces deux pôles, comme un pont. En quelque sorte, l'attention relie la perception à l'action ! »
« C’est la première fois qu’une étude montre aussi clairement la dynamique des réseaux de l’attention exogène, ainsi que leur place dans l’organisation du cortex, ajoute Paolo Bartolomeo. De plus, ce travail nous a permis d’observer le corrélat neuronal de l’inhibition de retour — un phénomène attentionnel dans lequel on observe un temps de réaction allongé lorsqu’un individu est exposé à des stimuli visuels dans une région de l’espace qu’il a déjà explorée, par rapport à une région de l’espace encore inconnue. »
L’inhibition de retour est une sorte de filtre qui nous permet de négliger des informations visuelles familières. Par exemple, si nous essayons de repérer un écureuil dans un arbre, les branches que nous avons déjà observées ne seront plus le sujet privilégié de l’attention, même si elles s’agitent sous l’effet du vent.
Financement
Cette étude a été financée par l’Israel Science Foundation, la bourse Marie Sklodowska et l’Agence Nationale de la Recherche (ANR).
Sources
Seidel Malkinson, T. et al. Intracortical recordings reveal Vision-to-Action cortical gradients driving exogenous attention. Nature communications, (2024).
DOI : 10.1038/s41467-024-46013-4.