Et si on pouvait résister aux compulsions ? Ces comportements irrationnels, que l’on observe notamment dans les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), sont très difficiles à réfréner. Pourtant, à l’Institut du Cerveau, l’équipe d’Éric Burguière montre qu’on peut non seulement les anticiper, mais aussi les bloquer avant qu’ils ne surviennent. Ces résultats prometteurs, obtenus chez la souris, pourraient nous aider à mieux comprendre les mécanismes biologiques qui sous-tendent les compulsions. Ils sont publiés dans la revue Nature Neuroscience.
Toucher régulièrement un objet précis, se ronger les ongles, se laver les mains à l’excès… ces rituels irrépressibles rythment parfois notre vie, notamment dans les périodes de forte anxiété. Lorsqu’ils se multiplient de façon envahissante en interférant avec les activités quotidiennes, ils peuvent devenir pathologiques : c’est ce que l’on appelle les compulsions, caractéristiques de plusieurs troubles psychiatriques — dont les troubles obsessionnels compulsifs (TOC).
Les patients concernés sont conscients que ces comportements sont le produit de leur propre activité mentale, mais cela ne les aide pas toujours à se contrôler. La compulsion s’impose parfois de manière si violente qu’ils doivent réduire leur activité professionnelle, leur vie sociale et leurs loisirs pour accommoder les symptômes.
Des recherches récentes ont montré que les épisodes compulsifs étaient associés à un dysfonctionnement de circuits cérébraux situés au niveau du cortex orbitofrontal — une région qui intervient notamment dans la prise de décision — et du striatum, situé sous le cortex. Restait à caractériser les anomalies neuronales sous-jacentes.
Les interneurones du striatum sur le banc des accusés
Tout d’abord, Lizbeth Mondragón-González et Christiane Schreiweis, dans l’équipe d’Éric Burguière, ont sélectionné des souris génétiquement modifiées habituellement utilisées pour étudier les TOC, car elles présentent des comportements compulsifs faciles à observer et à mesurer : elles se toilettent de manière excessive, jusqu’à provoquer d’importantes chutes de poils et des irritations de la peau.
Les chercheurs ont ensuite utilisé une technique d’optogénétique, qui permet d’activer ou d’inhiber des neurones de manière très précise en utilisant des rayons lumineux, afin de corriger des circuits neuronaux défaillants.
Leurs résultats sont sans équivoque : grâce à la stimulation continue des interneurones inhibiteurs du striatum, le toilettage des souris est devenu normal, et ce, sans retentissement sur leurs autres comportements.
Étouffer la compulsion dans l’œuf
L’équipe a ensuite utilisé une technique d’intelligence artificielle (IA) qui permet d’analyser l’activité cérébrale afin d’en extraire des informations qui échappent à l’œil humain. Ici, l’IA a aidé les chercheurs à pointer, dans le cortex orbitofrontal, les signes annonciateurs d’un épisode compulsif : une augmentation des ondes cérébrales lentes, dites « Delta ».
Grâce à cette signature de la crise à venir, les chercheurs ont mis au point un système de neurostimulation en boucle fermée qui consiste à exciter brièvement les interneurones inhibiteurs, en amont des compulsions. C’est un succès : la technique a permis de supprimer le toilettage compulsif des souris tout en réduisant au maximum le nombre et la durée des stimulations.
Ces avancées pourraient ainsi contribuer au développement de nouvelles thérapies de neurostimulation consistant à cibler les interneurones du striatum pour réguler les comportements compulsifs, et qui seraient moins gourmandes en énergie que les techniques actuelles.
« La stimulation cérébrale profonde, qui consiste à délivrer un courant électrique de faible intensité au cœur du cerveau grâce à l’implantation d’électrodes, a déjà montré son efficacité dans les troubles obsessionnels compulsifs sévères — notamment grâce aux travaux pionniers du Pr. Luc Mallet (AP-HP), explique Éric Burguière. L’un des freins à cette technique est la nécessité de remplacer régulièrement la batterie du neurostimulateur. Notre étude nous met sur la voie d’approches qui permettraient de raréfier les actes chirurgicaux, et rendre le traitement plus léger et plus personnalisé pour le patient. »
Financement
Cette étude a été financée par la Fondation de France, l’Agence Nationale de la Recherche et le programme Investissements d’avenir.
Sources
Mondragón-González, S.L.*, Schreiweis C.; Burguière E. Closed-loop recruitment of striatal interneurons prevents compulsive-like grooming behaviors. Nature Neuroscience, Mai 2024. DOI : doi.org/10.1038/s41593-024-01633-3.