L’équipe de Paolo Bartolomeo à l’Institut du Cerveau, montre pour la première fois qu’une lésion cérébrale peut « améliorer » la perception visuelle de certains patients, qui ne sont alors plus soumis à une illusion d’optique. Ces résultats illustrent le fait, primordial mais méconnu, que la vision normale n’est pas une copie du monde extérieur mais une interprétation que le cerveau fait de ce monde qui a pour fonction de nous permettre d’anticiper ce qui arrive et de nous adapter. L’étude est publiée dans la revue Journal of Neurophysiology.
A la suite d’un accident vasculaire cérébral provoquant une lésion dans l’hémisphère droit du cerveau, certains patients ne prêtent plus attention à ce qui se passe dans la partie gauche de l’espace, ils souffrent de « négligence visuelle » (ou négligence spatiale unilatérale) : ils ne mangent pas ce qui se trouve dans la moitié gauche de l’assiette, se cognent dans les meubles situés à gauche, ne se rasent ou ne se maquillent pas la partie gauche du visage.
L’équipe de Paolo Bartolomeo, Directeur de recherche Inserm et Co-Chef d’équipe à l'Institut du Cerveau, en collaboration avec l’équipe de Patrick Cavanagh au Laboratoire de Psychologie de la Perception (Université Paris Descartes), montre que cette lésion cérébrale peut « améliorer » la perception chez ces personnes. En effet, à cause de leur déficit d'attention, ces patients ne sont pas sujets à une illusion visuelle, normalement très forte, quand celle-ci a lieu dans leur espace négligé. En d’autres termes, ils voient d’une façon plus « véridique », plus « exacte » que les personnes n’ayant pas de lésion cérébrale.
Le test réalisé consiste à définir l’emplacement des lignes vertes et rouges qui apparaissent sur un arrière-plan mobile. Regardez-les. Sont-elles superposées et horizontales ? La ligne verte est-elle orientée vers le haut et la ligne rouge vers le bas ? Vous voyez probablement la ligne verte orientée vers le haut et la ligne rouge vers le bas alors que les patients souffrants de « négligence visuelle » voient les deux lignes horizontales et superposées.
Nous percevons les lignes décalées à cause du mouvement de l’arrière-plan. En effet, notre cerveau intègre à la fois le mouvement et la position des lignes, comme si il essayait de prévoir où les lignes se trouveraient si elles suivaient le mouvement.
Les patients, à qui on a demandé de prêter attention à leur côté gauche, ne sont pas capables d’intégrer le mouvement de l’arrière-plan et la position des lignes. Ils ne sont donc pas soumis à l’illusion d’optique et voient les lignes exactement là où elles sont.
Notre cerveau ne prend donc pas une photo de la réalité mais l’interprète. Quel est l’intérêt d’une telle interprétation ? Elle nous permet d’anticiper l’issue d’un mouvement. Quand nous jouons au tennis, au squash ou au ping-pong, nous avons besoin de prédire la trajectoire de la balle pour nous adapter et pouvoir la réceptionner. C’est ce que fait notre cerveau en intégrant le mouvement de la balle et en anticipant la position qu’elle aura quand nous la frapperons.
L’équipe de Paolo Bartolomeo a ainsi montré que l’attention est fondamentale pour avoir cette illusion d’optique, et que quand elle ne fonctionne pas, il n’y a plus d’illusion. L’attention est donc également fondamentale pour prédire la position d’une cible en mouvement et avoir le temps de réagir. Le cerveau n’aime pas être surpris et il y a donc une intégration à la fois temporelle et spatiale qui nous permet d’interpréter ce qui va arriver. Les lésions cérébrales des patients peuvent endommager ces processus d’interprétation, et donc provoquer une vision plus “fidèle” de la réalité extérieure mais moins utile dans la vie quotidienne.
Nos perceptions nous conduisent à une interprétation du monde qui n’est pas le monde réel mais qui nous permettent de nous adapter. Ces résultats soulignent le fait, important mais méconnu, que la vision normale n’est pas une copie du monde externe, mais plutôt une interprétation que le cerveau fait de ce monde. Cette interprétation a pour objectif de générer un comportement adapté et de nous permettre d’anticiper.