A l’occasion de la Journée Mondiale des maladies rares, le 28 février 2018, l’Institut du Cerveau - ICM fait le point sur les travaux menés par le Professeur Alexandra Durr sur les maladies neurologiques rares. Alexandra Durr, PU-PH accompagne les patients atteints de maladies neurologiques rares depuis plus de 20 ans. Cette femme de terrain et chercheuse à l’Institut du Cerveau - ICM est animée par l’espoir de pouvoir un jour traiter ces maladies avant leur apparition.
Les chercheurs de l’Institut du Cerveau - ICM travaillent sur plusieurs maladies neurologiques rares, quelles sont les maladies étudiées ?
Les maladies dites rares sont celles qui touchent un nombre restreint de personnes et posent des problèmes spécifiques liés à cette rareté. Le seuil admis en Europe est d’une personne atteinte sur 2 000. Il y a plus de 800 maladies neurologiques rares. Les chercheurs de l’Institut du Cerveau - ICM luttent contre certaines d’entre elles, telles que la sclérose latérale amyotrophique, l’épilepsie d’origine génétique, la maladie de Huntington, les ataxies cérébelleuses, les paraplégies spastiques, l’hémiplégie alternante de l’enfant, des formes auto-immunes de neuropathie, les syndromes myasthéniques congénitaux, les canalopathies neuromusculaires et certaines maladies rares du mouvement.
Quel est l’enjeu de la recherche concernant ces maladies ?
Nos enjeux sont multiples, mais l’identification de la cause génétique de chaque forme des maladies citées ci-dessus est déjà un pas en avant. Dans les maladies dont la cause est identifiée nous cherchons à mieux comprendre les phases présymptomatiques, avant le début de la maladie, pour mettre en place des thérapies préventives. Nous cherchons également à affiner leur diagnostic pour différencier les maladies entre elles et ainsi adopter une prise en charge adaptée à chaque patient. Enfin notre objectif est de mettre au point des thérapies pour les maladies neurologiques rares en particulier celles d’origine génétique.
Comment un patient est-il pris en charge ?
Une des difficultés majeures est l’errance diagnostique pour les patients et leurs familles. Mettre un nom sur la maladie est très important. Grâce aux plans nationaux « maladies rares », un dispositif unique à la France, de nombreux centres de référence, structurés en filières se sont mis en place. Notre filière, Brain Team, regroupe 9 centres de référence pour les maladies rares du système nerveux. Ces centres, labellisés au niveau national et reconnus pour leur excellence scientifique et clinique, ont pour objectif d’améliorer la prise en charge, le diagnostic, le parcours de soin et leur qualité. Ils sont les interlocuteurs des associations de patients et des familles et jouent un rôle important dans le développement d’essais cliniques. En effet, dans le cas de ces maladies, une des limitations est le nombre restreint de patients qui pourront participer à des études cliniques pour tester l’efficacité d’un médicament.
Quel rôle jouent les réseaux internationaux ?
Les réseaux internationaux jouent un rôle extrêmement important pour pallier à la rareté des patients et visent à accélérer la recherche concernant ces maladies. Le réseau SPATAX, par exemple, a pour but d’étudier les bases génétiques, l’histoire naturelle et le traitement des maladies héréditaires touchant le cervelet ou le motoneurone ou les deux et dont les lésions entraînent des troubles du mouvement.
L’ERN, European Reference Network, est un réseau de prise en charge des maladies rares au-delà des frontières. Nous avons participé activement à la mise en place d’un réseau ERN-RND pour Rare Neurological Disease (maladies neurologiques rares), qui regroupe les filières françaises et les centres européens. L’objectif est de mutualiser les savoirs et permettre ainsi l’accès des patients aux dernières innovations médicales.
Alexandra, vous êtes généticienne et vous recherchez les gènes à l’origine des maladies, pourquoi ?
Identifier la cause génétique de la maladie est primordial pour différentes raisons. D’une part, lorsque le gène et la mutation sont connus, la famille peut accéder à un conseil génétique pour savoir comment la maladie se transmet et faire des tests génétiques chez les apparentés et la descendance. D’autre part, nous pouvons adapter le traitement en fonction du patient, et lorsqu’il n’y a pas de traitement disponible, nous pouvons intégrer les patients dans des essais cliniques qui leur correspondent.
Pour les maladies rares, on parle vraiment de médecine génétique-spécifique. Ce n’est pas une médecine personnalisée pour une personne donnée, comme cela peut être le cas des traitements des cancers. Dans le cas des maladies rares, il est important d’identifier le gène touché pour développer des traitements efficaces et pouvoir les proposer au bon patient. Quand on connait la cause d’une maladie, on peut la traiter de façon ciblée, même si les symptômes des patients peuvent varier.
Une question qui revient souvent, à quoi sert-il de connaître la cause génétique de sa maladie s’il n’y a pas de traitement ?
Ce n’est pas tout à fait vrai de dire qu’il n’y a pas de traitement. Le centre de référence prend en charge les patients, et même si on ne sait pas toujours traiter la cause de leur maladie, certains symptômes sont traitables, comme la spasticité, une raideur musculaire observée dans différentes maladies. Par ailleurs, des traitements spécifiques, dépendant de la cause, existent, par exemple pour l’ataxie avec un déficit en Vitamine E, or il existe des centaines de formes différentes au sein de l’appellation « ataxies », d’où l’importance de savoir à laquelle on a affaire.
Quelles sont les pistes de traitements pour les maladies neurologiques rares ?
En collaboration avec l’Institut du Cerveau - ICM, huit études sont en cours pour évaluer l’efficacité de médicaments sur différentes maladies neurogénétiques.
Par exemple, dans le cas de la maladie de Huntington, une affection neurodégénérative liée à une anomalie génétique qui se caractérise par l’apparition progressive de troubles moteurs, comportementaux et cognitifs. Fournir de l’énergie au cerveau pour traiter cette maladie, c’est le pari que nous avons gagné avec Fanny Mochel. Elle a démontré le potentiel thérapeutique d’une huile médicament, la triheptanoïne, chez des patients atteints de la maladie de Huntington. En améliorant le fonctionnement énergétique du cerveau, ce médicament pourrait ralentir l’évolution de la maladie. Sur la base de ces résultats, un essai thérapeutique européen, coordonné par Fanny Mochel et réalisé en partenariat avec Ultragenyx, a débuté en France et aux Pays-Bas, pour une durée d’un an chez une centaine de patients avec comme critères d’évaluation des paramètres cliniques et d’imagerie.
Les premiers essais cliniques démarrent pour les ataxies cérébelleuses et les paraplégies spastiques.
Quels sont vos espoirs pour le futur ?
Aujourd’hui nous pouvons déterminer qu’une personne est à risque de développer une maladie neurogénétique rare mais nous ne pouvons pas proposer de traitement préventif, ni repousser le début de symptômes. Mon espoir est de traiter ces maladies avant que des lésions irréversibles ne soient constituées.
Un espoir corolaire est d’identifier les facteurs modificateurs, en plus de la mutation causale, qui influencent l’apparition de ces maladies. En effet, au sein d’une même famille avec une même anomalie génétique, certaines personnes vont déclarer la maladie à la naissance alors que d’autres ne vont jamais la déclarer, nous voulons comprendre pourquoi pour agir sur ces facteurs.