« Faites attention ! », « Je n’arrive pas à me concentrer », « Vous n’êtes pas assez attentif »… La notion d’attention revient souvent dans nos discussions. Et on a tous une idée plus ou moins vague de ce à quoi elle renvoie. Mais comment les neuroscientifiques la définissent au juste ? Comment naît-elle dans le cerveau ? Quelles recherches sur cette thématique à l’Institut du cerveau ?
« L’attention est une prise de possession par l’esprit, sous une forme claire et vive, d’un objet ou d’une suite de pensées parmi plusieurs qui sont présents simultanément […] Elle implique le retrait de certains objets afin de traiter plus efficacement les autres » : voilà comment le fondateur de la psychologie américaine William James (1842-1910), a définit l’attention dès 1890, dans son livre The Principles of Psychology (« Les principes de la psychologie »). En d’autres mots, cette fonction correspond à la capacité du cerveau à se concentrer sélectivement sur un élément ciblé et pertinent de l’environnement tout en ignorant les autres, moins importants ; sachant que nos capacités à traiter les informations venant de nos organes des sens (yeux, oreilles...), sont limitées.
L’attention nous permet de rester concentrés et alertes. De plus, que ce soit la mémorisation, la résolution de problèmes, la lecture ou encore la prise de décision, la plupart des activités cérébrales requièrent une forte concentration. C’est grâce à cette capacité cognitive que nous pouvons, par exemple, nous focaliser sur l’apprentissage d’un cours, lire dans le métro sans être distrait par le flux de passagers qui entrent et sortent à chaque arrêt, nous arrêter aux feux rouges sans être perturbés par les panneaux publicitaires qui clignotent à côté, ou encore suivre une conversation dans le brouhaha d’un restaurant bondé. C’est dire l’importance de l’attention pour notre perception du monde, nos interactions avec les autres et l’élaboration de comportements adaptés à notre environnement !
Plusieurs travaux ont montré que l’attention n’est pas en fait, un processus cognitif unique mais la somme de plusieurs interconnectés. Les neuroscientifiques en distinguent plusieurs. Appelé « intensité attentionnelle », le premier nous permet d’être plus ou moins attentif à une tâche. Il expliquerait pourquoi on peut augmenter subitement et de façon brève (pendant quelques secondes) notre niveau d'éveil suite à un changement dans notre environnement (bruit, entrée d’une personne dans la pièce, etc.) - une fonction appelée « alerte phasique ». Ou que l’on peut, au contraire, maintenir un niveau élevé d’attention durant plusieurs dizaines de minutes, voire des heures (« attention soutenue »). L’« attention sélective», d’autre part, permet de se protéger d’une surcharge cognitive, en se focalisant seulement sur les informations pertinentes. C’est elle qui fait en sorte que l’attention est dirigée sur un seul stimulus significatif (« attention focalisée ») ou sur deux tâches réalisées simultanément (« attention divisée »). Enfin, un autre processus, le « contrôle attentionnel », permet de choisir ce à quoi on prête attention et ce que l’on ignore.
Comme le résume le neurologue clinicien et neuroscientifique Paolo Bartolomeo dans son livre « Penser droit » (éditions Flammarion, 2020), l’attention ne naît pas d’une zone spécifique du cerveau mais de vastes réseaux neuronaux appelés « réseaux fronto-pariétaux ». Comme leur nom l’indique, ceux-ci s’étendent du cortex frontal (au niveau du front) au cortex pariétal (sous l’os pariétal qui forme la voûte crânienne, la partie arrière et supérieure du crâne). Très éloignées à l’échelle du cerveau, ces régions sont connectées entre elles par de grands faisceaux de fibres nerveuses. Correspondent à des prolongements de neurones appelés axones, qui conduisent le signal électrique entre les cellules nerveuses, ces sortes d’« autoroutes » nerveuses permettent une communication rapide et efficace entre ces zones cérébrales. À noter : en général, chaque hémisphère cérébrale oriente l’attention vers le côté opposé de l’espace grâce à un réseau neuronal « dorsal » de l’attention, situé en haut du cerveau. Un « réseau ventral de l’attention »), plus en bas dans le cerveau et latéralisé à l’hémisphère droit, nous permet d’identifier les objet importants et d’orienter notre attention vers eux.
Nos capacités attentionnelles peuvent se trouver atténuées par plusieurs facteurs. À commencer par le vieillissement qui s’accompagne d’une diminution des ressources attentionnelles et d’une plus grande sensibilité aux interférences. Mais l’attention peut aussi s’étioler à tout âge en cas de fatigue, de stress ou de consommation excessive d’alcool. Cette faculté peut aussi être déficiente dans de nombreux troubles neurologiques « innés », qui apparaissent dès la petite enfance, comme l’autisme ou le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, qui induisent des problèmes de concentration et d’ignorance des distractions. Enfin, l’attention peut également être altérée par des troubles « acquis » lors de la vie, comme l’héminégligence, dite aussi « négligence spatiale unilatérale ». Survenant le plus souvent après un accident vasculaire dans l'hémisphère droit du cerveau, la négligence se traduit par des difficultés à détecter des objets ou des informations localisés à gauche, à cause d’un déficit d’attention pour ce côté de l'espace.
L'attention est au centre des travaux d’une équipe de l'Institut du cerveau : le groupe « Neuropsychologie et Neuroimagerie fonctionnelle », abrégé PICNIC (de l’anglais « Physiological Investigations of Clinically Normal and Impaired Cognition »). Parmi ses axes de recherche forts : l’étude des mécanismes cérébraux de l’orientation de l’attention dans l’espace, chez des personnes saines ou atteintes d’une héminégligence. Pour mener à bien leurs travaux, les chercheurs utilisent plusieurs approches de pointe : notamment, des techniques neurophysiologiques, comme les enregistrements intracérébraux et la magnétoencéphalographie (MEG), qui permet de mesurer les champs magnétiques induits par l'activité électrique des neurones ; des méthodes neuroanatomiques tels l’IRM à haute résolution ; et des tests comportementaux, comme l’étude du temps de réponse manuelle et le suivi des yeux.