Pourquoi sommes-nous parfois enclins à croire à l’improbable envers et contre tout ? Une étude menée à l’École Normale Supérieure et à l’Hôpital Sainte-Anne par une équipe de neuroscientifiques et de médecins psychiatres de l’Inserm, d’Université de Paris et de l’Institut du Cerveau, pointe vers un récepteur synaptique spécifique. Son blocage induit des décisions prématurées et aberrantes, ainsi que des symptômes ressemblant à ceux rapportés dans les stades précoces de psychose. Les résultats viennent d’être publiés dans Nature Communications.
Lorsque le monde qui nous entoure devient imprévisible et incertain, nous devenons plus prompts à croire à l’improbable - comme des théories complotistes pendant une pandémie. Ce type de réaction à l’incertitude s’observe de façon exacerbée pendant les stades précoces de psychose : un sentiment d’étrangeté général précède l’émergence de croyances délirantes. Ces stades précoces de psychose sont difficiles à étudier, car les patients n’accèdent aux soins que lorsque les croyances délirantes sont déjà installées.
L’équipe, dirigée par Valentin Wyart, directeur de recherche Inserm au sein du Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Computationnelles (Inserm/ENS-PSL) et par le professeur Raphaël Gaillard d’Université de Paris à l’Hôpital Sainte-Anne-GHU Paris, a étudié le rôle d’un récepteur synaptique spécifique appelé NMDA (N-méthyl-D-aspartate) dans l’émergence de ces croyances aberrantes. Dans le cerveau, les récepteurs synaptiques régulent la communication au niveau des synapses, les zones de contact entre neurones. Les chercheurs ne se sont pas intéressés à ce récepteur par hasard. En effet, les encéphalites provoquées par une réaction auto-immune contre le récepteur NMDA sont connues pour donner lieu à des symptômes psychotiques.
Pour comprendre si une anomalie de ce récepteur favorise l’émergence de croyances aberrantes, l’équipe a demandé à un groupe de volontaires sains de prendre des décisions sur la base d’informations visuelles incertaines tout en se voyant administrer par intraveineuse une très faible dose de kétamine, une molécule qui vient bloquer de façon temporaire le récepteur NMDA. En comparant les effets de la kétamine à ceux d’un placebo sur le comportement et l’activité cérébrale
des volontaires testés, les chercheurs ont observé que l’administration de kétamine produit non seulement un sentiment d'incertitude élevé, mais aussi des décisions prématurées.
C’est ce type de biais qui est notamment reproché aux réseaux sociaux qui proposent aux utilisateurs une sélection d’informations en fonction de leurs opinions.
L’équipe est allée plus loin en montrant que ce biais de raisonnement vient compenser le sentiment d’incertitude élevé ressenti sous kétamine.
Ces résultats ouvrent de nouvelles pistes de réflexion pour la prise en charge de patients atteints de psychose. « Nos traitements agissent sur les idées délirantes, mais agissent peu sur ce qui les induit », précise Raphaël Gaillard. « Des essais cliniques devraient donc être menés pour déterminer comment augmenter la tolérance des patients à l’incertitude dans les stades précoces de psychose. »