La Food & Drugs Administration, autorité régulatrice des produits de santé aux Etats-Unis, vient d’autoriser la commercialisation de l’eskétamine dans le traitement des troubles dépressifs. Retour sur ce « nouveau médicament », issu d’une molécule bien connue, avec le Pr Philippe Fossati (APHP-Sorbonne Université), chef du service de psychiatrie adulte à l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière-APHP et responsable d’une équipe de recherche à l’Institut du Cerveau – ICM.
La FDA vient d’autoriser la commercialisation de l’eskétamine, un spray nasal pour le traitement de la dépression. En quoi consiste ce médicament ?
La kétamine, dont est dérivée l’eskétamine, est un produit bien connu en médecine. C’est un anesthésique couramment utilisé qui a montré un effet sur la dépression résistante, lorsque plusieurs lignes de traitements ont été testées sans efficacité. Nous avions conduit une méta-analyse des essais cliniques incluant la kétamine (Meta-analysis of short- and mid-term efficacy of ketamine in unipolar and bipolar depression - PubMed (nih.gov) montrant son effet très rapide, en quelques heures seulement, dans les troubles dépressifs unipolaires et bipolaires. L’effet est bien sûr suspensif, avec une réapparition des symptômes à 7 jours, mais son impact est bien réel, à la fois pour traiter des symptômes sur lesquels nous ne pouvions agir que de façon relativement lente, les antidépresseurs mettant en moyenne 3 semaines à faire effet, et pour passer de épisodes à haut risque comme les crises suicidaires.
Y a–t-il les risques déjà connus ou envisagés à ce traitement ?
La kétamine comme l’eskétamine sont des produits bien tolérés mais qui nécessitent une surveillance au moment de l’administration, de la tension artérielle notamment. Il ne faut pas oublier que la kétamine est aussi utilisée comme une drogue « récréative » pour ces effets « planants ». Il est donc nécessaire d’être présent auprès des patients si des effets psychodysleptiques apparaissent car cela peut être angoissant. Actuellement, la kétamine s’administre sous forme de perfusion et requiert donc une prise en charge dans un service hospitalier. L’eskétamine, bien que son mode d’administration, un spray nasal, semble plus « simple », doit répondre aux mêmes exigences.
Quelles perspectives ouvrent ce type de traitement ?
C’est un signal d’espoir, même si ce n’est pas la panacée. Il permet de renouveler les approches thérapeutiques vis-à-vis de la dépression. Je vois deux perspectives importantes suggérées par ces nouveaux traitements. D’abord, un impact inévitable sur l’organisation des soins. La voie d’administration nouvelle de l’eskétamine entraine des conditions de prise en charge particulières. Les médecins pourront prescrire ce traitement, mais la plupart n’auront pas les moyens de les délivrer et devront se rapprocher des services hospitaliers. Cela va nécessiter pour nous de développer des activités ambulatoires ou d’hôpital de jour pour administrer ces traitements, que nous n’avons pas actuellement en France. Le service de psychiatrie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, en lien avec l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (Institut du Cerveau – ICM), a commencé à développer ces nouvelles organisations. C’est un vraiment changement de paradigme dans l’idée du traitement de la dépression et je pense que nous n’en mesurons pas encore toutes les conséquences.
La deuxième perspective que j’entrevois, et qui a déjà commencé aux Etats-Unis, est le développement de nouvelles méthodologies de recherche. Au sein du NIMH (National Institute of Mental Health, USA) des programmes de recherche clinique utilisent la kétamine ou d’autres dérivées, pour étudier les signaux antidépresseurs qui peuvent y être associés, mettre en évidence de nouveaux marqueurs biologiques. Nous avons un modèle similaire à l’Institut du Cerveau – ICM avec Neurotrials, l’unité de développement clinique précoce, sur lequel nous pourrons nous appuyer pour développer de telles approches dans le futur.
Comment voyez-vous l’utilisation de ce type de traitement dans les prochaines années ?
Ce type de traitement ouvre de nouveaux champs de recherche clinique et va avoir un impact sur l’organisation des soins, c’est certain. Les premiers essais vont débuter très prochainement en France. Cependant, il n’a pas vocation à remplacer les autres traitements disponibles, qu’ils soient médicamenteux, physiques ou psychothérapeutiques. Ce sont deux choses différentes et complémentaires.