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Voyager dans le temps par la pensée : un nouveau cas d’hypermnésie autobiographique

Dernière mise à jour : 28/08/2025 Temps de lecture : 1 min
Voyager dans le temps par la pensée
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Se souvenir des événements passés dans leurs moindres détails, les revisiter de manière méthodique et revivre des émotions passées : voilà la particularité des personnes qui présentent une mémoire exceptionnelle de leur propre vie – l’hypermnésie autobiographique, ou hyperthymésie. Cette capacité fascinante est encore très mal connue, et chaque nouveau cas enrichit sa description. Dans un nouvel article publié dans Neurocase, des chercheurs de l’Institut du Cerveau et du laboratoire Mémoire, cerveau et cognition (LMC²), à Paris, décrivent la vie mentale hors du commun d’une jeune fille de dix-sept ans. 

La mémoire autobiographique désigne notre capacité à nous souvenir des expériences qui composent notre vie depuis l’enfance. Elle est faite de souvenirs émotionnels et sensoriels de lieux, moments et personnes, mais aussi d’un ensemble d’informations factuelles – comme des noms et des dates – qui nous permettent de nous repérer lorsque nous tentons de convoquer un épisode du passé.

Pour la plupart d’entre nous, ces souvenirs sont plus ou moins précis en fonction de leur ancienneté ou de l’importance qu’on leur donne. Grâce au caractère dynamique de la mémoire, ils perdent en netteté au cours du temps, s’évanouissent tout à fait, ou sont partiellement réécrits. Mais un petit nombre de personnes – quelques cas seulement ont été décrits dans la littérature scientifique[1] – ont accès à une telle profusion de détails autobiographiques qu’elles peuvent associer des événements précis à n’importe quelle date du calendrier.

Chez ces individus, dits hyperthymésiques, les souvenirs sont soigneusement indexés par date. Certains pourront décrire avec précision ce qu’ils ont fait le 6 juillet 2002, et s’immerger de nouveau dans les émotions et sensations qui les ont accompagnés ce jour-là.

Valentina La Corte Enseignante chercheuse au sein du laboratoire Mémoire, cerveau et cognition de l’université Paris Cité

Posséder des souvenirs de sa propre vie permet de construire un récit de soi et de stabiliser un sentiment d’identité. Ainsi, la mémoire autobiographique est associée à un type de conscience appelée « autonoiétique », qui rend possible un véritable voyage mental dans le temps pour revivre des événements passés, se projeter dans le futur ou dans des situations imaginaires.

Or, les personnes hyperthymésiques peuvent voyager dans le temps par la pensée avec une facilité et une intensité hors du commun. « Analyser ce fonctionnement cognitif atypique pourrait nous aider à mieux comprendre le fonctionnement de la mémoire autobiographique et les troubles neurologiques qui l’affectent », précise Laurent Cohen, neurologue et co-responsable du PICNIC Lab à l’Institut du Cerveau.

Un palais mental pour classer ses souvenirs

Selon les témoignages disponibles dans la littérature et dans les médias, l’hyperthymésie est souvent décrite comme une capacité envahissante : les souvenirs pénibles, voire traumatisants, s’amoncèlent de manière incontrôlable. Certains sujets ont également le sentiment d’être submergés par des informations anecdotiques dépourvus de toute utilité. 

Mais Valentina La Corte et Laurent Cohen se sont penchés sur le cas de TL[2], une jeune fille de 17 ans, qui semble avoir un contrôle important sur la manière dont elle accède à ses souvenirs. 

TL en distingue deux types. D’une part, « la mémoire noire » qui correspond à l’ensemble de ses connaissances encyclopédiques, notamment acquises à l’école, et qui n’ont aucune signification particulière sur le plan émotionnel. D’autre part, les souvenirs de sa vie, organisés au sein d’un espace mental sophistiqué – une sorte de palais de la mémoire – qu’elle peut visualiser sur demande. 

Ces derniers sont rangés par thème et par ordre chronologique dans des classeurs, eux-mêmes disposés dans une pièce au plafond très bas qu’elle appelle « la salle blanche ». TL la parcourt mentalement pour retrouver des épisodes liés à sa vie de famille, aux vacances, aux amis ou aux objets de l’enfance. Certains souvenirs sont même stockés sous forme de SMS ou de photographies.

La jeune fille utilise également des outils de représentation mentale pour isoler les souvenirs associés à des émotions négatives – comme la tristesse, le deuil ou la détresse. Ainsi, la mort de son grand-père est conservée dans un coffre placé dans la salle blanche. Elle utilise aussi deux pièces annexes : une « chambre froide » pour apaiser sa colère, une « pièce à problèmes » pour réfléchir à ses difficultés, ou encore une « salle militaire » peuplée de soldats, qui est apparue dans son esprit lorsque son père a quitté le foyer pour s’engager dans l’armée.

Représentation schématique de l’espace mental dans lequel TL organise ses souvenirs
Représentation schématique de l’espace mental dans lequel TL organise ses souvenirs.

Évaluer la mémoire autobiographique

Les chercheurs ne disposent pas d’outils robustes pour vérifier que les souvenirs des personnes hyperthymésiques sont fiables, surtout quand ils portent sur des périodes anciennes. Comme le reste de la population, les hyperthymésiques sont sujets aux faux souvenirs et aux distorsions de la mémoire.

Toutefois, Valentina La Corte et Laurent Cohen ont eu recours au Test épisodique de mémoire du passé autobiographique (TEMPau) et le Temporal extended autobiographical memory task (TEEAM) qui permettent d’évaluer la facilité avec laquelle un sujet voyage mentalement dans le temps, la richesse des souvenirs rapportés et la façon dont il se situe par rapport à son récit.  

Leurs résultats indiquent que TL revit des moments de sa vie avec une intensité et une acuité exceptionnelles. Tantôt placée en tant qu’observateur extérieur, tantôt comme protagoniste, elle peut réexaminer les détails de scènes du passé selon différents points de vue. Quand les chercheurs lui ont demandé d’imaginer des événements à venir, elle a fourni une profusion d’informations temporelles, spatiales et perceptuelles – bien au-delà de ce qu’une personne ordinaire peut produire.

Ces observations fortifient l’idée selon laquelle le voyage mental dans le futur repose sur des mécanismes semblables à l’exploration consciente du passé. Dans les deux cas, les informations issues des sens semblent tenir une place centrale.

De nouvelles pistes de recherche

L’hypermnésie autobiographique semble d’ailleurs entretenir un lien étroit avec la synesthésie, une particularité neurologique dans laquelle le traitement d’une information sensorielle implique au moins deux sens différents : les synesthètes peuvent par exemple entendre les couleurs, voir les sons ou goûter la musique.  Même si TL n’est pas synesthète, plusieurs personnes de sa famille le sont. Il serait intéressant d’explorer cette association.

Laurent Cohen Neurologue et co-responsable du PICNIC Lab à l’Institut du Cerveau

Certaines études montrent que l’hyperthymésie est associée à une suractivation des réseaux cérébraux impliqués dans la mémoire autobiographique et de certaines zones visuelles. Toutefois, aucune différence neuroanatomique avec des individus à la mémoire typique n’a été découverte jusqu’ici. 

« Il est difficile de généraliser les observations sur l’hyperthymésie, car elles reposent sur quelques cas seulement. Est-ce que le vieillissement affecte les souvenirs de ces personnes ? Leurs capacités de voyage mental dépendent-elles de leur âge ? Peuvent-elles apprendre à contrôler l’accumulation des souvenirs ? Nous avons de nombreuses questions et tout reste à découvrir. Une voie de recherche passionnante s’ouvre devant nous », conclut Valentina La Corte.

La bibliothèque de Babel
Illustration pour « La bibliothèque de Babel » de Jorge Luis Borges, par Erik Desmazières.

[1]Talbot, J. et al. Highly Superior Autobiographical Memory (HSAM): A Systematic Review. Neuropsychology Review, Février 2024. DOI: 10.1007/s11065-024-09632-8

[2] Pour conserver son anonymat, seules des initiales, qui ne correspondent pas à son état civil, seront utilisées.

Sources

La Corte, V., et al. Autobiographical hypermnesia as a particular form of mental time travel. Neurocase, Août 2025. DOI: 10.1080/13554794.2025.2537950.

Imagerie cérébrale Cohen Naccache Bartolomeo
Equipe
PICNIC Lab : neuropsychologie et neuroimagerie fonctionnelle

La conscience, l’attention, la perception visuelle, le langage sont des fonctions cognitives complexes qui mettent en jeu différentes aires cérébrales et différents réseaux neuronaux.

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