Le déclin du mécanisme de neurogénèse (néoformation de neurones) au cours du vieillissement est impliqué dans l’émergence de pathologies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer. Des travaux de recherche associant des chercheurs de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (Inserm/ CNRS / Université Pierre et Marie Curie), en collaboration avec une équipe du centre de recherche cardiovasculaire de Yale, démontrent l’importance du facteur VEGF-C dans l’activation des cellules souches neurales et en conséquence dans la production de nouveaux neurones. Ces résultats, publiés dans Cell Reports, apportent un nouvel espoir dans le développement de thérapies qui permettraient d’améliorer la production de neurones pour pallier le déclin cognitif chez les personnes atteintes d’Alzheimer.
Tout au long de sa vie, un adulte est capable de générer, à partir de cellules souches neurales (CSN), de nouveaux neurones afin de maintenir l’ensemble des capacités cognitives. Cette neurogénèse se produit au niveau de l’hippocampe, structure du cerveau jouant un rôle central dans la mémoire. Cependant, l’âge et certains accidents cérébraux entraînent un déclin de cette fonction, ce qui peut contribuer à l’apparition de troubles cognitifs graves, tels que la maladie d’Alzheimer.
Si les étapes de la néoformation de neurones sont bien connues, les mécanismes moléculaires de ce phénomène sont eux moins bien compris. En effet, les CSN passent la majorité du temps à l’état de quiescence durant lequel la cellule est hors du cycle cellulaire et ne se divise pas. Des facteurs répresseurs qui maintiennent cette phase de quiescence ont été identifiés alors qu’il existe encore de nombreuses interrogations quant aux facteurs permettant la sortie de cette « dormance » cellulaire.
C’est dans ce contexte que Jean-Léon Thomas et Anne Eichmann ont décidé de se pencher sur les facteurs de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF) et leurs récepteurs (VEGFR) – déjà suspectés de participer à la régulation de la croissance et du maintien des cellules neurales. Plus spécifiquement, ils ont choisi de s’intéresser au pouvoir activateur potentiel du facteur VEGF-C associé à son récepteur VEGFR3.
Leurs expériences in vitro et in vivo confirment que les CSN des rongeurs possèdent le récepteur VEGFR3 et produisent elles-mêmes le facteur VEGF-C. La stimulation des CSN par le VEGF-C mène à l’activation de ces cellules, c’est-à-dire à leur entrée en cycle cellulaire et à leur conversion en progéniteurs neuraux, pour finalement produire de nouveaux neurones. La particularité d’action du VEGF-C dans le cerveau, par rapport à d’autres facteurs de croissance vasculaires comme le VEGF-A, est qu’il induit une réponse des CSN à des concentrations où il ne provoque pas de prolifération vasculaire. Cette propriété confère un intérêt potentiel au VEGF-C comme activateur spécifique des CSN cérébrales.
Chez les souris déficientes en VEGFR3 dans les CSN, ce phénomène de neurogénèse est aboli. Les scientifiques montrent ainsi que le signal VEGF-C/VEGFR3 non seulement participe mais est absolument nécessaire au « réveil » des cellules souches neurales et donc à la création de nouveaux neurones.
Ce modèle mutant a aussi permis à l’équipe d’observer une corrélation entre troubles de l’humeur et détérioration de la fonction neurogénitrice de l’hippocampe. Comme suspecté, ces souris dont l’activation des CSN est compromise, vont développer avec l’âge une anxiété exagérée, similaire à celle retrouvée chez les patients Alzheimer. Ce résultat suggère que la signalisation neurale VEGF-C/VEGFR3 participe au maintien des fonctions cognitives dans le modèle murin.
Des observations validées chez l’homme
Dans la suite logique de ce travail mené chez le rongeur, les chercheurs se sont interrogés sur la présence de mécanismes similaires chez l’homme. Ils ont alors découvert que cette voie de signalisation est conservée dans les cellules neurales humaines où elle promeut aussi la prolifération et la survie cellulaires in vitro.
Bien que ces résultats soient encore préliminaires, ils apportent des arguments en faveur de l’idée que l’activité des CSN adultes pourrait participer au contrôle physiologique et comportemental à l’échelle de l’organisme. De même, la régression de cette activité au cours du vieillissement pourrait être associée à l’instauration de troubles de l’humeur comme l’anxiété et la dépression.
Au point de vue thérapeutique, ces travaux sont encourageants : VEGF-C serait un bon candidat pour améliorer la production de nouveaux neurones et compenser le déclin cognitif des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.
Sources
Vascular endothelial growth factor receptor 3 controls neural stem cell activation in mice and humain
Jinah Han(1), Charles-Félix Calvo(2,3,4), Tae Hyuk Kang(5), Kasey L. Baker(1), June-Hee Park(5), Carlos Parras(2,3,4), Marine Levittas(2,3,4), Ulrick Birba(2,3,4), Kaya Bilguvar(6), Ronald S.Duman(7), Harri Nurmi(8), Kari Alitalo(8), Anne C. Eichmann(1), and Jean-Léon Thomas(2,3,4,5)
Yale Cardiovascular Research Center, Section of Cardiovascular Medicine, Department of Internal Medicine, Yale University School of Medicine, New Haven, CT 06510-3221, USA
2. Université Pierre and Marie Curie – Paris6
3. INSERM/CNRS U-1127/UMR-7225
4. APHP Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, 75013 Paris, France
5. Department of Neurology
6. Department of Genetics
7. Department of Psychiatry
Yale University School of Medicine, New Haven, CT 06510-3221, USA
8. Wihuri Research Institute and Translational Cancer Biology Program, Biomedicum Helsinki, University of Helsinki, 00014 Helsinki, Finland
Cell Reports, 24 février 2015
Légende de l’image de couverture : Culture dissociée de neurone adulte humain issue d’une résection hippocampique à visée thérapeutique. In vitro, les cellules prolifèrent au sein d’un amas cellulaire appelé “Neurosphère” (au centre de l’image) : les cellules précurseurs expriment la Nestine (en rouge) et donnent naissance à de nouveaux neurones qui expriment la béta-Tubuline III (en vert) ainsi qu’à d’autres types cellulaires (noyaux marqués en bleu intense). Echelle : 20µm. Image réalisée au Centre de Recherche de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (CRInstitut du Cerveau – ICM) U975, Equipe “Cortex & Epilepsie”.
Auteur : Eugène, Emmanuel
Copyright : Inserm