Une étude récente conduite par une équipe de recherche réunie autour de Hilke Plassmann, professeure de neuroscience décisionnelle (INSEAD et Institut du Cerveau et de la Moelle Épinière : Institut du Cerveau – ICM – Inserm / CNRS / Sorbonne Université), chercheuse dans l’équipe de recherche en neurosciences sociales et affectives à l’Institut du Cerveau – ICM, David Dubois, professeur associé de marketing à l’INSEAD et Gideon Nave, professeur assistant de marketing à la Wharton School et pour la Wharton Neuroscience Initiative, montre que la testostérone, hormone sexuelle mâle, augmente la préférence des hommes pour les produits associés à une position sociale élevée plutôt que pour les produits ayant une qualité perçue similaire mais associés à un statut inférieur. Les résultats sont publiés dans Nature Communications.
Les données issues de la recherche fondamentale montre que d’une espèce à l’autre, il existe un besoin fondamental de signifier son rang. Un rang social plus élevé apporte aux individus plusieurs avantages significatifs tels que des opportunités d’accouplement, l’accès à des ressources ou une influence sociale. Dans les sociétés humaines, les individus montrent souvent leur rang dans la hiérarchie sociale par la consommation économique, notamment en possédant et en s’affichant avec des produits onéreux comme des marques de luxe. Dans quelle mesure la préférence des consommateurs pour de tels produits est-elle motivée par un facteur biologique ?
« La littérature sur les espèces non humaines démontre le lien entre la testostérone et le comportement relatif au rang. Chez les humains, le niveau de testostérone peut augmenter dans certaines situations, dans des contextes liés au rang social ou en situation de compétition – après avoir gagné une compétition sportive ou en présence d’un partenaire sexuel potentiel attirant », explique Hilke Plassmann.
Pour mieux comprendre l’influence de la testostérone sur le statut social et ses comportements associés, Hilke Plassmann et ses co-auteurs, Gideon Nave de The Wharton School, Amos Nadler de Ivey Business School, David Dubois de l’INSEAD, David Zava, et Colin Camerer du California Institute of Technology, ont mené une étude auprès de 243 hommes d’âge et de milieu socio-économique similaires. De façon aléatoire, la moitié d’entre eux a reçu une dose unique de testostérone équivalente à un pic de testostérone pouvant se produire dans une situation quotidienne; l’autre moitié a reçu un placebo. Tous les sujets ont ensuite participé à deux exercices.
Dans le premier exercice, ils ont été invités à faire des choix entre différentes marques. Des paires étaient composées de marques dont on avait testé au préalable la disparité des niveaux sociaux perçus tout étant associées à une qualité identique. Autrement dit, une de ces marques était supposée élever son propriétaire plus haut dans la hiérarchie sociale (Calvin Klein® par exemple) que l’autre (Levi’s® par exemple). Pour chaque paire, les chercheurs ont demandé aux participants « quelle marque préférez-vous ?» et « dans quelle mesure ? », sur une échelle de 1 à 10. Les résultats révèlent que les hommes qui ont reçu de la testostérone montrent une plus grande préférence pour les produits positionnels (associés à une position sociale supérieure), comme ceux d’une marque de luxe par exemple, suggérant un lien de causalité entre la testostérone et les préférences des consommateurs liées au statut social.
Le deuxième exercice consistait à étudier l’effet de la testostérone sur les deux voies distinctes menant à un rang social élevé : le statut et le pouvoir. Alors que le statut fait référence au respect de la part des autres, le pouvoir provient du contrôle d’une ressource précieuse. L’équipe de recherche a utilisé six catégories de produits, des machines à café aux voitures de luxe, et les a décrit de trois manières, avec une formulation similaire, mais en mettant en avant les bénéfices induits par le produit en matière de position sociale, de pouvoir ou de qualité.
« Par exemple, les publicités fictives ont décrit un stylo Mont Blanc tantôt comme « le symbole reconnu internationalement parmi les personnes influentes » (statut), tantôt comme étant « plus puissant que l’épée » (pouvoir), ou comme « un outil immuable et durable » (qualité) » précise David Dubois.
Les chercheurs ont ensuite demandé aux participants dans quelle mesure ils aimaient la description du produit et le produit lui-même. Dans ce cas, la testostérone n’a pas engendré une plus grande appréciation du produit quand celui-ci était perçu comme un produit de qualité ou comme un produit donnant du pouvoir, mais seulement lorsqu’il était décrit comme un produit induisant une position sociale plus élevée.
Ces résultats peuvent être utiles pour formuler de nouvelles hypothèses applicables à des contextes de consommation positionnelle (liée au statut). Les hommes pouvant être sujets à des pics de testostérone en situation de compétition – lors d’événements sportifs ou en présence de partenaires sexuels potentiels attirants, ils pourraient être plus enclins à consommer des produits associés à un statut social élevé, et être plus réceptifs à une communication en lien avec la notion de statut dans certaines situations.
Selon Gideon Nave, « bien que l’étude montre que la consommation de biens positionnels est en partie motivée par des facteurs biologiques, il ne faut pas oublier que les différences culturelles peuvent jouer un rôle dans les fondements biologiques du comportement lié au statut et que les signes extérieurs d’un statut ne sont pas universels. Ces résultats apportent les premiers aperçus théoriques d’un fondement biologique de la préférence pour les produits associés à un statut élevé. Ils nécessitent d’être reproduits et généralisés dans d’autres populations. »
« Ces résultats ont également de vastes implications pour les marques de luxe et les décideurs. J’ai toujours été frappé par les variations de l’appétit des consommateurs pour le luxe, certains marchés ou certaines périodes favorisant une « fièvre du luxe » (zones urbaines, marchés en développement rapide comme la Chine, etc.) et d’autres moins. Nos résultats sont excitants car ils montrent que le désir de luxe des consommateurs peut provenir directement des différences de niveau de testostérone qui varie en fonction de la compétition sociale, de la densité de population ou du déséquilibre hommes / femmes dans une population», explique Amos Nadler.
Sources
https://www.nature.com/articles/s41467-018-04923-0
Nave G, Nadler A, Dubois D, Zava D, Camerer C, Plassmann H. Nat Commun. 2018 Jul 3