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Recherche, Science & Santé

Stéphane CHARPIER : portrait d'un électrophysiologiste

Publié le : 12/01/2021 Temps de lecture : 1 min
stéphane charpier

Stéphane CHARPIER, Pr de neuroscience à Sorbonne Université, chercheur en neurophysiologie et chef d’équipe à l’Institut du cerveau nous présente son ouvrage, « la science de la résurrection », le fruit d’une rencontre imprévue entre son expérience personnelle, ses travaux de recherche et sa passion pour « sa science », l’électrophysiologie, née au XVIIIe siècle et qui ne cesse encore aujourd’hui de progresser.

A travers ce livre, l’auteur nous invite à découvrir la frontière complexe et insaisissable entre la vie et la mort. Cette frontière, décrite comme une « zone grise », y est explorée d’un point de vue historique, philosophique mais aussi, et surtout, d’un point de vue scientifique et médical.

« Le but de mes recherches n’est pas d’étudier la mort, concept indéfinissable pour un physiologiste. Au contraire, il est de comprendre jusqu’à quel moment il y a encore de la vie alors que le cerveau semble engagé dans un processus irréversible conduisant à la mort. Identifier des marqueurs fiables permettant de savoir que le cerveau pourra récupérer correctement après un arrêt cardiorespiratoire est un immense espoir pour la neurologie et la réanimation ! »

Qu'est-ce que l’électrophysiologie et quelles sont ses applications en neuroscience ?

L’électrophysiologie est la science qui étudie les signaux électriques générés par les processus biologiques et en particulier l’activité des neurones.

Electrophysiologie

Le cerveau est un réseau de cellules excitables, les neurones, interconnectées par des synapses. L’électrophysiologie est la seule technique qui permette de décoder en temps réel l’information générée dans les différents circuits de neurones du cerveau lors d’un processus physiologique normal ou pathologique.

On sait depuis les travaux de Galvani à la fin du XVIIIe siècle, qu’une activité électrique dans les nerfs et les muscles est requise pour le déclenchement d’un mouvement et pour la propagation des informations sensorielles jusqu’au cerveau. C’est Emile du Bois-Reymond, physiologiste allemand, qui au milieu du XIXe siècle démontre que lorsque l’on stimule un nerf on provoque une inversion de polarité électrique (le potentiel d’action) dans les axones qui se propage permettant ainsi à un neurone de communiquer avec un autre neurone ou avec un muscle. Cette découverte majeure a mis un terme à la théorie de René Descartes proposant l’existence d’«esprits animaux », substances mystérieuses faites d’un vent subtil – qui parcourraient des nerfs creux et rempliraient les muscles lors de leur contraction. La découverte de l’excitabilité des neurones et de leurs potentiels d’action a donc ouvert la voie aux travaux de recherche actuels en neurophysiologie et aux développement des stimulations électriques à visée thérapeutique. Au cours du XIXe siècle, les stimulations électriques du système nerveux ont beaucoup été utilisées, avec plus ou moins de succès, mais aujourd’hui des stimulations contrôlées de régions cérébrales particulières ont prouvé leur efficacité dans diverses pathologies, notamment la maladie de Parkinson.

Dans la quasi-totalité des maladies du système nerveux, il existe soit un dysfonctionnement des propriétés électriques des neurones individuels, soit un désordre fonctionnel au niveau des connexions synaptiques entre neurones. Il est aujourd’hui possible d’enregistrer et d’étudier l’activité électrique du cerveau à différentes échelles : dans de vastes régions grâce à l’électro-encéphalogramme (EEG) mais également au sein d’un seul neurone.

C’est justement le but des travaux de recherche de mon équipe : explorer en temps réel les défauts électrophysiologiques dans le cerveau des patients et développer des modèles expérimentaux –  mimant au plus près des états pathologiques et permettant d’enregistrer chaque neurone impliqué dans la pathologie. La combinaison de ces approches nous permet de déterminer précisément le dysfonctionnement des neurones individuels et sa conséquence sur les réseaux neuronaux atteints par la maladie.

En quoi vos travaux de recherche sont-ils en rapport avec la thématique de votre livre ?

« En octobre 2008, un évènement fracassant changea le cours de ma vie. Il s’agissait d’un accident vasculaire cérébral qui aurait pu mettre un terme à mon existence. Par un procédé qui m’est encore mystérieux, cette proximité avec l’instant fatal s’insinuera dans les chemins de mon imaginaire scientifique, fera resurgir ma fascination pour la genèse du mythe de Frankenstein et finira, malgré moi me semble-t-il par nourrir mes recherches sur le cerveau. »

L’écriture de mon livre a donc accompagné mes recherches sur les propriétés du cerveau lorsque celui-ci est soumis à des situations pathologiques extrêmes. L’électrophysiologie a été une approche de choix pour aborder ces recherches. En effet, lorsque l’on pose une électrode sur le crâne ou le cerveau d’une personne on enregistre des variations de potentiel (EEG) en relation avec son état de conscience. Une activité de faible amplitude, rapide et apparemment désynchronisée, véritable « bruit de fond » physiologique du cerveau, témoigne d’une activité consciente.

D’un autre côté, le sommeil est une perte de conscience physiologique au cours de laquelle apparaissent dans l’EEG des ondes lentes synchronisées.

ondes

Il existe par ailleurs des pertes de consciences pathologiques, comme par exemple lors d’une crise d’épilepsie généralisée, que nous étudions plus particulièrement dans mon équipe de recherche.

Dans ce cas là, on observe des activités électriques synchrones, rythmiques et intenses dans la plupart des régions cérébrales et qui court-circuitent l’activité endogène naturelle. Ce processus empêche le patient d’être conscient et de percevoir des informations de son environnement.

Une autre condition dans laquelle on peut perdre conscience de manière pathologique est le coma. A l’institut du Cerveau, Lionel NACCACHE enregistre chez des patients en état végétatif ou dans le coma l’activité électrique cérébrale qui témoigne d’un dysfonctionnement électrique cérébral en correspondance avec l’état clinique.

Pour les neurophysiologistes comme moi, ces données obtenues chez l’homme permettent de développer des modèles expérimentaux pertinents dans lesquels il est possible d’étudier les dysfonctionnements à l’échelle d’un neurone, ce qui est impossible chez l’homme.

« On a cru que j’avais écrit ce livre parce que j’étudiais les altérations neuronales au cours des comas. La réalité est tout autre. J’ai commencé à penser à ce livre sur mon lit d’hôpital après un AVC et ensuite lorsque j’ai recommencé à travailler, incidemment, j’ai initié des projets de recherche dont certains étaient en relation avec le contenu de mon livre. »

Le point de départ de ces nouvelles recherches sur l’activité électrique cérébrale était un questionnement plus général sur le fonctionnement naturel du cerveau. Quel est donc le rôle de cette « activité électrique de fond », enregistrée chez les individus en plein état de conscience, sur les fonctions neuronales ? Et puis, sont-ils encore fonctionnels et peuvent-ils traiter de l’information dans un état de « silence électrique cérébral » associé aux comas les plus profonds ? Une des façons de répondre à ces questions a été de supprimer le bruit de fond cérébral et d’étudier le fonctionnement de chaque neurone sans cette activité.

Notre approche a été d’abord de supprimer la décharge de potentiels d’action et l’activité synaptique par l’administration de doses élevées de barbituriques. On obtient alors chez les rongeurs un coma appelé isoélectrique, semblable à celui de certains patients plongés en coma artificiel.

Ces travaux ont permis de démontrer pour la première fois (et contre toute attente) que lors d’un coma isoélectrique les neurones sont encore fonctionnels, qu’ils conservent leur excitabilité, qu’ils peuvent déclencher des potentiels d’action et même traiter de l’information sensorielle comme par exemple une stimulation des vibrisses chez les rongeurs, laquelle peut déclencher une réponse neuronale. Il en est de même chez les patients plongés dans un coma artificiel par administration de barbituriques chez lesquels nous avons pu observer une activité électrique cérébrale lors d’une stimulation extérieure comme un claquement de porte ou un flash de lumière.

Cependant, et c’est important de le souligner, ces réponses cérébrales témoignent bien d’une activité neuronale mais non d’une réponse consciente du patient ou du cobaye.

Récemment, mon équipe vient de montrer que dans les modèles expérimentaux de coma isoélectrique réversible, les neurones sont non seulement fonctionnels mais qu’ils gardent la totalité de leur fonctionnalité après restauration des activités cérébrales spontanées.

Parallèlement à l’écriture de mon livre, les projets de mon équipe se sont enchainés, comme cela se passe toujours dans une équipe de recherche, en fonction des dernières découvertes et des réflexions entre chercheurs et cliniciens. Après nos résultats obtenus sur le coma isoélectrique, nous avons voulu aller plus loin, explorer les confins du fonctionnement cérébral : ceux associés à une onde EEG décrite récemment et appelée « onde la mort ». Celle-ci survient après un arrêt cardio-respiratoire et était sensée être un marqueur d’un processus de mort irréversible. Nous avons voulu tester cette hypothèse et, surtout, identifier l’origine de cette onde

Pour cela nous avons développé un modèle expérimental de coma « proche de la mort cérébrale » par anoxie (privation d’oxygène), comme survenant chez certains patients après un AVC massif ou une crise cardiaque. Notre but alors a été de comprendre les mécanismes neuronaux de l’onde de la mort, de déterminer si celle-ci est effectivement irréversible et d’identifier des marqueurs fiables pronostiquant une récupération correcte après une ré-oxygénation.

Ces travaux ont démontré que l’onde de la mort n’est pas irréversible et ont permis à d’identifier une onde jamais décrite auparavant : l’onde de la réanimation. Nous avons décrit les mécanismes de cette onde (symétriques a ceux de l’onde de la mort) et montré que dans 100% des cas après l’apparition l’onde de la réanimation, on observe une récupération totale des capacités fonctionnelles des neurones et des circuits synaptiques dans le cortex. L’espoir donc de découvrir un marqueur électrique de la récupération des fonctions cérébrales chez l’homme !

onde


 

Pour en savoir plus : https://institutducerveau-icm.org/fr/actualite/anoxie-cerebrale-reanimation-neurones/

 

L'anoxie cérébrale et la réanimation du cerveau vues en temps réel depuis l'intérieur des neurones

Nous poursuivons actuellement ces recherches et explorons de nouvelles pistes. Existe-t-il, après l’onde de la réanimation, certains patterns d’activité électrique cérébrale qui augurent d’un bon ou d’un mauvais pronostic de récupération du cerveau après une réanimation cardio-respiratoire ? Par quelle(s) structure(s) cérébrale(s) le cerveau commence-t-il à perdre ses fonctions après un arrêt cardiorespiratoire ? Est-il possible de prévenir le processus qui inaugure la mort des neurones ?

Ces recherches ont accompagné l’écriture de mon livre et se poursuivent aujourd’hui dans cette enquête scientifique et médicale sur les frontières entre la vie et la mort et notre capacité de les dépasser.

Bonne lecture !

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