Aller au contenu principal

Soit 34,00 après déduction fiscale de 66%

Je fais un don mensuel Je fais un don IFI
Recherche, Science & Santé

Pourquoi prenons-nous des décisions irrationnelles ?

Publié le : 14/04/2017 Temps de lecture : 1 min
dé

Dépenser un mois de salaire dans un voyage, acheter une quarantième paire de chaussure… nos choix sont parfois irrationnels. A quoi sont dues ces décisions impulsives ? Réponse avec Mathias Pessiglione, co-responsable de l’équipe « Motivation, cerveau et comportement » à l’Institut du Cerveau – ICM.

Mathias, comment pourrait-on définir un choix impulsif ?

L’idée principale quand on parle de choix impulsif est la tendance à privilégier les récompenses à court terme. La première expérience que l’on peut évoquer a été réalisée dans les années 1970 sur des enfants pour étudier les capacités de contrôle des individus. Il s’agissait d’une étude de gratification différée, c’est-à-dire des choix entre récompense immédiate ou récompense plus importante dans un délai plus long.

L’expérience du marshmallow


L’expérience du marshmallow est une étude mise au point par le psychologue Walter Mischel dans les années 1970.
Sur une table, un marshmallow. Derrière la table, un enfant. L’expérimentateur prévient l’enfant que si jamais le marshmallow est toujours sur la table quand il revient, l’enfant aura droit à deux marshmallow.
L’enfant a donc le choix, 1 marshmallow maintenant ou 2 marshmallow plus tard. Résister à la tentation du marshmallow ferait intervenir des capacités de contrôle, qui sont très importantes. Des études longitudinales ont montré que les enfants qui résistaient à la tentation du marshmallow avaient de meilleurs succès professionnels, faisaient de meilleures études, étaient moins obèses, prenaient moins de drogues…

Y a-t-il une explication scientifique au fait que nos décisions ne sont pas toujours rationnelles ?


La première hypothèse formulée était l’idée d’une réserve de self-control qui, quand elle serait épuisée nous entraînerait à faire des choix plus impulsifs. Elle a germé à la fin des années 90, avec Roy Baumeister, le père de la théorie de l’« ego depletion ».
L’hypothèse de départ postule que nos capacités de self-control s’épuiseraient au fur et à mesure que nous nous en servons. Exercer son self-control pendant un certain temps va épuiser cette capacité qu’il sera alors impossible d’utiliser pour une autre tâche.
Pour tester cette hypothèse, les expérimentateurs ont réuni 2 groupes de participants. Sur une table un cookie et un radis. Un des groupes a le droit de manger le cookie, l’autre est forcé de manger le radis. Les participants doivent ensuite résoudre des problèmes qui sont en fait insolvables.
Les résultats montrent que ceux qui ont mangé le radis passent moins de temps à essayer de résoudre les anagrammes que ceux qui ont mangé le cookie. La conclusion des chercheurs était que ceux qui s’efforcent de manger le radis et qui résistent à la tentation de manger le cookie, épuisent leurs capacités de self control, qui ne sont donc plus disponibles au moment de résoudre les problèmes. Ils réagissent donc de façon plus impulsive en abandonnant deux fois plus vite que les autres.
Cependant, ce concept majeur de la psychologie sociale s’est effondré en 2015. Un protocole, conseillé par le père de la théorie, a été l’objet d’un appel à participation. 25 laboratoires dans le monde ont suivi le même protocole expérimental et les résultats sont unanimes : zéro effet démontré !

Quelle est votre hypothèse pour expliquer nos choix impulsifs ?


Notre hypothèse est que notre capacité à contrôler nos décisions s’épuise à l’échelle de quelques heures, soit une journée de travail. Ce qui ne veut pas dire que nous perdons cette capacité, mais simplement qu’elle devient plus coûteuse, et donc utilisée seulement en cas d’extrême nécessité. Nous avons démontré récemment que la fatigue aurait un impact majeur sur nos prises de décision, notamment économiques.
Afin de tester cette idée, nous avons demandé à 3 groupes de volontaires de résoudre des exercices plus ou moins difficiles à effectuer pendant 6 heures. A intervalles réguliers, nous demandions aux participants de choisir entre une récompense immédiate, recevoir une petite somme d’argent tout de suite, ou une récompense à long terme, une plus grosse somme d’argent plus tard. Les personnes soumises à des exercices difficiles ont eu tendance à choisir la petite somme immédiate, c’est à dire qu’ils ont favorisé un choix impulsif à un choix plus profitable à long terme. Ainsi la « fatigue » cognitive nous entrainerait à faire des choix plus impulsifs.
La responsable de ces choix impulsifs est une petite zone du cortex préfrontal, dont l’activité diminue avec la fatigue, or plus son activité diminue, plus le nombre de choix impulsifs augmente. Quand nous sommes fatigués, la « réserve de self-control » est toujours là, il est toujours possible d’exercer du contrôle mais cela devient beaucoup plus couteux en termes d’efforts à fournir.

Quelles sont les implications de cette découverte ?


Notre travail met en évidence un mécanisme qui explique pourquoi, après une journée de travail intense, notre impulsivité augmente quand il s’agit de prendre des décisions économiques. Ces résultats ont des implications dans le domaine du management, en effet le nombre et la durée des pauses pendant le travail devraient être adaptées pour éviter la fatigue cognitive.
Un travail trop intense a non seulement des répercussions sur nos décisions économiques mais peut entraîner, à terme, des conditions pathologiques comme le syndrome du burn-out.

D'autres actualités qui pourraient vous intéresser

Monocyte – un globule blanc qui se différencie en macrophage. Crédit : Université d’Edinbourg.
Découverte d’une anomalie liée aux macrophages dans la sclérose en plaques
Certains patients atteints de sclérose en plaques possèdent la capacité de régénérer partiellement la myéline, la gaine qui entourent les fibres nerveuses et qui est endommagée au cours de la maladie. En étudiant comment les cellules immunitaires...
08.11.2024 Recherche, Science & Santé
Interneurones. Crédit : UCLA Broad Stem Cell Research Center.
Cibler les interneurones inhibiteurs du striatum pour stopper les comportements compulsifs
Et si on pouvait résister aux compulsions ? Ces comportements irrationnels, que l’on observe notamment dans les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), sont très difficiles à réfréner. Pourtant, à l’Institut du Cerveau, l’équipe d’Éric Burguière...
09.09.2024 Recherche, Science & Santé
Les nerfs moteurs présents dans la moelle épinière se projettent vers la périphérie, où ils entrent en contact avec les muscles, formant des connexions appelées jonctions neuromusculaires. Crédit : James N. Sleigh.
Maladie de Charcot : les effets inattendus des ultrasons
Depuis une quinzaine d’années, les neurochirurgiens perfectionnent une technique fascinante : ouvrir temporairement la barrière hémato-encéphalique via des ultrasons, pour faciliter l’action de molécules thérapeutiques dans le système nerveux central...
30.08.2024 Recherche, Science & Santé
Un neurone
Syndrome de Rett : une nouvelle thérapie génique en vue
La thérapie génique pourrait constituer notre meilleure chance de traiter le syndrome de Rett, un trouble neurologique qui entraîne des déficiences intellectuelles et motrices graves. À l’Institut du Cerveau, Françoise Piguet et ses collègues ont...
11.07.2024 Recherche, Science & Santé
Lésions d’un patient à l’inclusion dans le protocole (M0) disparues après 2 ans de traitement à la Leriglitazone (M24)
Le double effet de la leriglitazone dans l'adrénoleucodystrophie liée au chromosome X (ALD-X)
En 2023, l’équipe du Professeur Fanny Mochel (AP-HP, Sorbonne Université), chercheuse à l’Institut du Cerveau montrait que la prise quotidienne de leriglitazone permettait de réduire la progression de la myélopathie des patients atteints d...
24.06.2024 Recherche, Science & Santé
Une tête de statue de l'île de Pâques sur laquelle sont posées des éléctrodes
Un meilleur pronostic de retour à la conscience des patients placés en réanimation
Lorsqu’un patient est admis en réanimation à cause d’un trouble de la conscience — un coma par exemple — établir son pronostic neurologique est une étape cruciale et souvent difficile. Pour réduire l’incertitude qui prélude à la décision médicale, un...
04.06.2024 Recherche, Science & Santé
Voir toutes nos actualités