Une étude réalisée par Eléonore Bayen et Florence Laigle-Donadey s’est penchée sur les aidants de patients atteints de tumeurs cérébrales. L’occasion de revenir plus globalement avec Eléonore Bayen sur la situation de ces personnes dans la prise en charge des maladies neurodégénératives.
La situation des aidants est un sujet incontournable...
La situation des aidants informels, c’est-à-dire de la famille et des proches des personnes malades, est un sujet majeur de santé publique. En tant que médecins travaillant en neuro-oncologie, notre priorité est, d’abord, centrée sur le malade et sur la coordination des soins pluri-professionnels qui lui sont nécessaires. Notre travail a pour objectifs d’améliorer et de stabiliser l’état de santé du malade, et d’accompagner au mieux son parcours de soins, long et complexe, face à la maladie et au handicap, parfois sévères. Or, l’entourage familial du malade participe pleinement, et en première ligne, à cette prise en charge aux côtés des soignants. L’engagement émotionnel des aidants familiaux est fort, le temps d’accompagnement dédié au malade est élevé et l’aide apportée devient experte au fur et à mesure de la maladie. Cet accompagnement remarquable, et pourtant invisible et souvent méconnu, a un impact majeur sur la vie de ces aidants.
Vous avez conduit une étude sur ce sujet auprès de l’entourage de patients atteints de tumeurs cérébrales, pouvez-vous nous en dire plus ?
L’an dernier, nous avons mené une recherche sur les aidants des patients diagnostiqués pour des gliomes de haut grade, des tumeurs cérébrales malignes très agressives.
L’espérance de vie de ces patients après le diagnostic est parfois limitée, et les besoins en soins sont croissants. Au cours de cette maladie, les aidants sont très impliqués dans toutes les activités de la vie quotidienne de leur proche. Ils apportent des réponses très créatives face aux situations de handicap qui découlent de la maladie de leur proche. Ils participent à l’accompagnement médical et médico-social, et, plus généralement, s’investissent pleinement dans le projet de vie, parfois de fin de vie, de leur proche malade. Toutes ces composantes influent sur leur vie personnelle et professionnelle et sur leur santé.
Dans ce travail réalisé chez 84 aidants de patients suivis dans le service, nous avons étudié trois axes dans l’aide apportée. Premièrement, le vécu émotionnel qui découle de la situation et de la relation d’aide. Deuxièmement, la réponse aux besoins des malades, objectivée par la participation concrète des aidants aux activités quotidiennes et aux soins. Troisièmement, la valeur économique que représente cette « production d’aide » par les aidants.
Quelles conclusions avez-vous pu en tirer ?
Les aidants, majoritairement des femmes, sont incontournables dans le parcours de soins des malades et dans ce parcours de vie qui inclue la maladie et le handicap. L’investissement, l’accompagnement et la charge en activités variées sont considérables.
Premièrement, au plan émotionnel, l’anxiété face à la maladie de leur proche, le manque de temps pour leur propre vie personnelle et les difficultés à concilier leur rôle d’aidant avec d’autres responsabilités familiales et professionnelles ressortent particulièrement. L’isolement social, c’est-à-dire l’absence de soutien aux aidants, contribue au vécu douloureux.
Deuxièmement, le temps d’aide quotidien apporté aux malades est majeur et croît au fur et à mesure de la maladie. Il s’articule autour de trois composantes principales. Tout d’abord les activités liées directement aux incapacités du patient, l’aide à la toilette par exemple. Ensuite, des activités liées aux tâches administratives et domestiques que le malade ne peut plus réaliser, comme faire les courses. Enfin, un temps de supervision-surveillance où l’aidant doit rester, à l’extrême, de façon permanente au domicile afin d’éviter que le patient ne soit en danger, du fait de crises d’épilepsie ou d’un risque important de chutes par exemple. Cette dernière composante du temps d’aide est majoritaire, en particulier lorsque l’état du malade est grave et le handicap sévère. En France, le financement public de l’aide au domicile du fait de la perte d’autonomie ne couvre pas la totalité des besoins de nos patients, et il existe souvent un décalage entre les besoins à un moment précis et le déclenchement effectif de l’aide. Par conséquent, cette dernière est assumée par défaut, ou par choix selon les cas, par les aidants.
Enfin, la valeur monétaire de ce temps d’aide, si l’on se situe dans une perspective économique de compensation, est élevée. Cette valeur reflète le manque à gagner des aidants, qui se désengagent partiellement ou totalement du marché du travail du fait de leur engagement dans la relation d’aide, et une partie du fardeau financier des foyers touchés par la maladie.
Ces conclusions pourraient également s’appliquer à d’autres pathologies comme les maladies neurodégénératives, c’est l’occasion de porter un message aux acteurs directs de ces situations ? (professionnels de santé, décideurs, grand public…)
Cette étude, comme une autre réalisée également à la Pitié-Salpêtrière dans le cas de patients atteints de sclérose en plaques, apportent des données chiffrées sur l’investissement des aidants. Ces résultats permettent de rendre l’aide et la charge de l’aide sur les aidants plus visible pour les décideurs publics, pour les professionnels de santé, et pour le grand public... Le soutien aux aidants requiert une évaluation multidimensionnelle et une bonne connaissance de leur vécu et de leurs besoins afin de promouvoir des stratégies de soutien effectives.
Il apparaît impératif de développer des programmes renforcés d’aide aux aidants. En particulier, l’information et la formation au rôle d’aidant et à l’accompagnement, le soutien psychologique par les professionnels, l’aide à la coordination, au répit et au lien social doivent être soutenus. L’anticipation des besoins et l’organisation intégrée et précoce des soins au domicile par les professionnels devraient permettre de maintenir la santé et l’insertion sociale des aidants, et par là même la qualité de vie, de fin de vie et le bien-être de nos malades.
Sources
The multidimensional burden of informal caregivers in primary malignant brain tumor. Bayen E, Laigle-Donadey F, Prouté M, Hoang-Xuan K, Joël ME, Delattre JY. Support Care Cancer. 2017 Jan.
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27624465