On observe parfois, dans des tissus sains, des cellules mutées qui deviendront — ou non — des tumeurs malignes. Ce phénomène a déjà été décrit dans l’endomètre, l’œsophage, ou encore l’épiderme. A l’Institut du Cerveau, Matthieu Peyre et ses collègues de l’équipe « Génétique et développement des tumeurs cérébrales » ont entrepris de quantifier et décrire ce phénomène dans les méninges, les membranes qui entourent le cerveau et la moelle épinière. Ils montrent pour la première fois dans une nouvelle étude parue dans Acta Neuropathologica qu’il existe naturellement des mutations oncogènes dans les méninges de personnes en bonne santé. Reste à déterminer dans quelles conditions elles sont susceptibles de provoquer une croissance tumorale.
Les méningiomes sont les tumeurs du système nerveux central les plus fréquentes chez les adultes de plus de 35 ans. Ils naissent dans les méninges — les trois membranes qui entourent le cerveau et la moelle épinière et protègent le système nerveux des chocs, et s’avèrent bénins dans 80% des cas. D’évolution lente et généralement traitables par une simple ablation chirurgicale, les méningiomes inquiètent peu et suscitent généralement moins d’intérêt, en recherche, que les tumeurs très agressives comme les glioblastomes.
Même dans les cas les plus bénins, les tumeurs des méninges peuvent compresser certaines zones du cerveau et provoquer des maux de tête, changements de la personnalité, troubles de l’équilibre ou crises d’épilepsie. Elles constituent donc un problème thérapeutique à ne pas négliger.
On sait désormais que les méningiomes sont les plus fréquents entre 60 et 70 ans et concernent principalement les femmes. Toutefois, leur origine et leurs mécanismes de formation sont encore très mal connus. « Dans ce contexte, nous souhaitons mieux comprendre la genèse de ces tumeurs, dans le but de prédire leur développement et d’améliorer la prise en charge des patients », ajoute le clinicien.
DES TISSUS NORMAUX PASSÉS AU CRIBLE
Depuis quelques années, les chercheurs portaient leurs soupçons sur les mutations des gènes NF2 ou TRAF7, que l’on retrouve habituellement dans les méningiomes : et si, bien avant la prolifération anormale des cellules qui caractérise la tumeur, ces mutations préexistaient dans les tissus sains ? Restait à confirmer cette hypothèse. « Notre objectif est de trouver les types cellulaires au sein desquelles la tumeur est susceptible de naître, pour à terme, déduire les mécanismes de la croissance tumorale à partir des propriétés de ces cellules », précise Matthieu Peyre.
Grâce aux techniques de séquençage de nouvelle génération, aussi appelées « analyses à très haute profondeur », il est désormais possible de détecter des mutations génétiques à une fréquence très faible dans des tissus normaux, chez des personnes en bonne santé. Matthieu Peyre et ses collègues ont tiré profit de ces avancées pour analyser 90 échantillons de méninges obtenus, post mortem, chez des donneurs qui n’avaient jamais eu de tumeur cérébrale.
Etonnamment, les chercheurs ont trouvé quatre mutations différentes chez seulement cinq patients : en bref, presque tous les patients avaient au moins une portion de tissu méningé présentant une mutation. Par ailleurs, ces mutations étaient majoritairement pro-tumorales et concernaient NF2 ou TRAF7.
En quête de la cellule mutée originelle
Les gènes les plus mutés dans les méningiomes correspondent donc aux gènes les plus mutés dans la méninge normale… Mais ce n’est pas tout : l’équipe a également observé qu’il existait un lien entre la localisation des méninges (soit à la base du crâne, soit au-dessus du cerveau), et leur propension à développer des mutations spécifiques. « Cela pourrait signifier que certains types de tumeurs ne se développent que dans une population cellulaire bien précise », estime Matthieu Peyre.
A terme, cartographier très précisément les types cellulaires à risque pourrait permettre de guider les chercheurs vers « la cellule mutée originelle » des tumeurs. En effet, les méningiomes possèdent une caractéristique surprenante dont les autres tumeurs cérébrales sont dépourvues : les formes malignes ont quasiment le même profil génétique que les formes bénignes. « Nous pensons que la cellule dans laquelle survient la mutation tumorigène va induire la capacité de la tumeur à devenir bénigne ou maligne, conclue le chercheur. D’où l’intérêt, à terme, de dresser un atlas single-cell des méninges, qui permettrait de décrire toutes les cellules dont elle est composée et de mieux comprendre les relations entre les méninges et le cerveau. »
Les chercheurs souhaitent également mettre au point des thérapies ciblées contre les gènes les plus fréquemment mutés dans les méningiomes bénins et malins – NF2 et TRAF7 – et qui sont également les gènes mutés dans la méninge normale. Or, la fonction de ces gènes est assez complexe, et leur rôle exact dans la tumorigenèse n’est pas encore connu. Ce sera le prochain mystère à percer.
Sources
Boetto, J. et al. Normal meninges harbor oncogenic somatic mutations in meningioma-driver genes. Acta Neuropathologica, Septembre 2023. DOI : 10.1007/s00401-023-02635-4.
L’équipe "Génétique et développement des tumeurs cérébrales" a pour objectifs d’identifier de nouvelles mutations génétiques et biomarqueurs des tumeurs cérébrales, ainsi que de comprendre les mécanismes cellulaires et moléculaires impliques dans
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