Les dégénérescences fronto-temporales (DFT) représentent la deuxième cause de démences dégénératives chez les patients de moins de 65 ans, après la maladie d’Alzheimer. Comment définit-on une démence fronto-temporale ? Comment la diagnostique-t-on ? Quelles sont les prises en charge possibles ? Et quelles sont les dernières avancées sur ces pathologies ? Rencontre avec le Dr Isabelle Le Ber à l’occasion de la 3e journée française des démences fronto-temporales ce 27 Septembre, neurologue spécialiste des DFT au sein du centre de référence des démences rares à la Pitié-Salpêtrière et chercheuse à l’Institut du Cerveau – ICM.
Qu’est-ce qu’une DFT ?
Les dégénérescences fronto-temporales (encore appelées démences fronto-temporales) sont des maladies cognitives et comportementales apparentées à la maladie d’Alzheimer bien qu’elles soient beaucoup plus rares. Environ 6 à 10 000 patients sont atteints par cette pathologie en France. Elles sont dues à un dysfonctionnement de certaines régions du cerveau, les régions frontales et temporales. Ces régions sont impliquées dans des fonctions aussi diverses que le comportement, en particulier le comportement social, la prise d’initiative, le contrôle des émotions, le langage etc… Le dysfonctionnement est lié à l’accumulation anormale de certaines protéines (TDP-43, Tau ou FUS) dans ces régions.
Les premiers symptômes apparaissent en général entre 50 et 65 ans. La maladie se manifeste par des troubles du comportement, comme une apathie progressive, une perte d’intérêt, un repli social ou encore une désinhibition. On observe également des troubles du contrôle des émotions, des conduites alimentaires –les patients mangent de façon gloutonne et précipitée- et des troubles du langage. On distingue plusieurs formes cliniques de la maladie selon qu’elle débute par des troubles comportementaux ou par des troubles du langage.
Comment les diagnostique-t-on ?
La DFT est d’abord suspectée grâce au témoignage des proches qui rapportent des modifications récentes du comportement d’un patient, un changement de sa personnalité ou des difficultés de langage. Des examens complémentaires permettent alors de confirmer le diagnostic de DFT. Tout d’abord les tests neuropsychologiques, qui permettent d’évaluer les capacités de raisonnement, de jugement, d’attention ou encore la mémoire des patients. Des examens d’imagerie cérébrale, tels que l’IRM ou le TEP, mettent en évidence une atteinte ou un dysfonctionnement des régions frontales et temporales. Des examens biologiques, une ponction lombaire ou un électroencéphalogramme permettent d’exclure d’autres pathologies qui pourraient présenter des symptômes communs. Enfin, les formes génétiques ne sont pas fréquentes, 30 % des cas environ, mais une consultation et une analyse génétique peuvent être proposées si l’histoire familiale le justifie. Trois gènes sont plus fréquemment impliqués et analysés (C9Orf72, PGRN, MAPT).
L’un des objectifs importants des recherches menées à l’Institut du Cerveau – ICM et à l’IM2A est d’améliorer le diagnostic des patients pour détecter la maladie plus précocement et limiter l’errance diagnostique. Ainsi, un test évaluant l’empathie, l’un des symptômes phare de la maladie, a été développé récemment à l’IM2A et à l’Institut du Cerveau – ICM en collaboration avec une équipe internationale. Il permet de mieux différencier les DFT et la maladie d’Alzheimer, encore trop souvent confondues. A terme, il pourrait devenir l’un des examens diagnostiques de référence pour cette pathologie.
Voir aussi: DÉMENCES OU ALZHEIMER : UN TEST SIMPLE POURRAIT LES DIFFÉRENCIER
Comment les patients sont-ils pris en charge ?
La prise en charge des patients doit être pluridisciplinaire par une équipe spécialisée dans un centre expert. Elle fait intervenir un neurologue mais aussi des neuropsychologues, des orthophonistes et des psychologues cliniciens. Nous pouvons ainsi mieux évaluer les troubles et besoins du patient, le retentissement familial et social, assurer une prise en charge optimale et adapter les traitements et les aides sociales selon le stade de la maladie.
L’impact de cette maladie sur la vie sociale, professionnelle et familiale est important. L’aspect social et psychologique, la formation des aidants familiaux à la maladie, sont aussi un volet majeur de la prise en charge. Le soutien des patients et aidants familiaux par les associations de patients dédiées à cette pathologie, en particulier l’association France-DFT, est également crucial.
Quels sont les traitements disponibles actuellement ?
A l’heure actuelle, les traitements proposés sont uniquement symptomatiques. Certains traitements, par exemple certains antidépresseurs, permettent d’améliorer les troubles du comportement. Le traitement médicamenteux peut être complété par une prise en charge orthophonique ou en accueil de jour assurant une stimulation cognitive pour ralentir l’évolution de certains symptômes.
Quels sont les challenges pour traiter cette maladie et les dernières avancées de la recherche ?
Des progrès considérables ont été effectués durant les 20 dernières années permettant de mieux caractériser les différentes formes cliniques de la maladie, la nature des lésions neuronales, les causes génétiques et les voies biologiques qui sont altérées.
Toutes ces avancées ouvrent maintenant le champ à de nouvelles perspectives de traitement. Les premiers essais thérapeutiques à visée curative ou préventive ont ainsi pu être initiés récemment dans certaines formes génétiques de la maladie. Les équipes de l’Institut du Cerveau – ICM et de l’IM2A ont participé à l’un des premiers essais thérapeutiques visant à tester l’effet d’un médicament sur les formes débutantes de DFT avec mutation d’un gène (PGRN) chez une trentaine de patients.
A ce stade, l’un des enjeux majeurs est le diagnostic précoce de ces maladies pour traiter le plus tôt possible, idéalement de façon préventive avant le début des symptômes cliniques. Dans ce but, deux études nationales (PHRC Predict-PGRN ; ANR PrevDemAls) sont conduites à la Salpêtrière par notre équipe, en étroite collaboration avec le Pr Bruno Dubois, le Centre d’Investigation Clinique et certains centres hospitaliers de province, chez 200 sujets à risque d’être porteurs d’une forme génétique de DFT. Le but de ces deux études est d’identifier des biomarqueurs prédictifs du début du processus lésionnel et du début des symptômes cliniques qui permettront, à terme, de tester de nouvelles thérapeutiques au stade où elles sont le plus susceptibles d’être efficaces, c’est-à-dire avant même l’apparition des premiers symptômes.
Quel est l’objectif de la journée française des démences fronto-temporales ?
Cette journée de sensibilisation résulte d’une initiative internationale (‘World FTD awareness week’) émanant des associations de patients de différents pays. L’objectif est de mieux faire connaitre la DFT, maladie rare et méconnue, au grand public et à la communauté médicale. En France, l’association France-DFT organise chaque année depuis 2015 une journée nationale en partenariat avec le centre de référence des démences rares ou précoces. Cette manifestation permet aux proches et aux familles de patients d’être mieux informés sur la maladie, sur les dernières avancées de la recherche et de sensibiliser la communauté médicale afin d’améliorer le diagnostic des DFT.
Quel est le rôle du centre de référence des démences rares et précoces à la Pitié-Salpêtrière ?
Les centres de référence et de compétence maladies rares émanent du plan national ‘maladies rares’. Ce plan vise à déployer des moyens financiers en faveur des maladies rares, qui affectent moins d’une personne sur 2 000, pour en améliorer le diagnostic et la prise en charge.
L’Institut de la mémoire et de la maladie d’Alzheimer, dirigé par le Pr Bruno Dubois à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, a été labellisé centre de référence « démences rares ou précoces » par le Ministère de la Santé et des Solidarités il y a 10 ans. Il est dédié aux patients atteints par les différentes formes cliniques de DFT. Il assure des missions d’expertise, de recours, de formation et est un acteur important de la recherche sur cette maladie. Il œuvre au sein d’un réseau de 17 centres de compétence régionaux qui constituent un réseau de soins experts assurant une offre de soins homogènes aux patients atteints de DFT à travers l’ensemble du territoire français.