La communication entre les hémisphères cérébraux est d’une importance majeure pour la compensation des déficits causés par des lésions cérébrales, suite à un AVC par exemple. Paolo Bartolomeo et Michel Thiebaut de Schotten, chercheurs à l’Institut du Cerveau – ICM, se sont penchés sur le sujet.
Bien que d’apparence symétrique, les hémisphères cérébraux présentent de multiples différences anatomiques et fonctionnelles. Pendant de nombreuses années, le concept de la dominance hémisphérique a eu la part-belle. Pour comprendre ce concept, il faut remonter au XIXe siècle avec Paul Broca qui observa des déficits du langage après des lésions de l’hémisphère gauche plutôt que de l’hémisphère droit. D’autres études sur le comportement des patients atteints de lésions de l’hémisphère droit suggéraient le lien entre ces lésions et les troubles spatiaux ; enfin, en 1981 le prix Nobel a été attribué à Roger W. Sperry pour ces travaux sur la spécialisation fonctionnelle des hémisphères cérébraux.
Cependant, les récents progrès de l’imagerie fonctionnelle, qui permet d’observer l’activité des différentes régions du cerveau, montrent des processus plus complexes. Les deux hémisphères cérébraux ne fonctionnent pas indépendamment comme supposé jusqu’alors mais communiquent pour former un réseau et mettent en commun leurs ressources pour la mise en place du langage ou des fonctions spatiales par exemple.
Forts de ce constat, Paolo Bartolomeo et Michel Thiebaut de Schotten se sont intéressés à la latéralisation dans le cas des lésions cérébrales et notamment à l’idée aujourd’hui prédominante, selon laquelle l’activité de l’hémisphère sain aurait un rôle important dans la récupération neurologique..
Quel rôle pour l’hémisphère sain, non touché par la lésion, dans la compensation des troubles causés par les lésions de certaines régions du cerveau ?
Lors d’un accident vasculaire cérébral, les lésions cérébrales affectent non seulement l’activité de la zone touchée mais aussi l’activité d’autres régions, intactes de toutes lésions, mais connectées à la zone touchée. C’est ce qu’on appelle le diaschisis, une perte d’excitabilité « à distance ».
Suite à un AVC s’opère une récupération fonctionnelle spontanée pour laquelle 4 phases ont été identifiées :
- quelques heures après l’AVC, une phase caractérisée par une inflammation locale, œdème et diaschisis
- dans les premières semaines après l’accident, une phase au cours de laquelle la majorité de la récupération s’effectue
- Une phase chronique de quelques semaines à plusieurs mois, avec une normalisation de l’activité et stabilisation des déficits
- Plusieurs mois après l’AVC, un recâblage des fibres de la substance blanche et la mise en place de nouvelles connexions
Ces mécanismes sont associés à différentes formes de récupération fonctionnelle. Par exemple, dans les cas des troubles moteurs, les patients récupèrent le maximum de leur capacité 30 jours après l’accident alors que le langage ou d’autres fonctions cognitives supérieures peuvent être récupérées jusqu’à 1 an après l’accident.
Des études de suivi de patients ayant été victimes de 2 AVC successifs dans les hémisphères cérébraux ont permis de fournir les premières preuves de l’importance du rôle de l’hémisphère non touché dans la récupération des déficits engendrés par la lésion. En effet, chez des patients ayant déjà fait un AVC, lorsqu’un deuxième AVC se déclare dans l’hémisphère non touché, la récupération fonctionnelle en cours pour le premier AVC est souvent perturbée.
D’une manière générale, les troubles cognitifs reflètent typiquement des dysfonctionnements des réseaux plutôt que des lésions neuronales locales. Une communication rapide et efficace entre l’hémisphère sain et l’hémisphère lésé semble être la condition sine qua non pour la compensation inter-hémisphérique des déficits cognitifs.
La structure la plus importante pour la communication inter-hémisphérique est le corps calleux, qui fait le lien entre les deux hémisphères cérébraux. Une déconnexion des deux hémisphères, via un déficit anatomique ou fonctionnel du corps calleux, a des conséquences importantes sur la récupération après un AVC.
Pour conclure, les lésions du cerveau ont de nombreux effets à court et long terme au niveau des régions éloignées de la lésion. Ces effets s’étendent au sein d’un réseau fonctionnel sur les deux hémisphères. La communication entre les deux hémisphères semble être une composante clé de la récupération fonctionnelle après un AVC. Ainsi après une lésion focale du cerveau, l’hémisphère sain participerait à la compensation des déficits neurologiques, ce qui contredit l’idée aujourd’hui prédominante, selon laquelle l’activité de l’hémisphère sain aurait un rôle négatif dans la récupération neurologique.
De futures recherches explorant l’évolution dans le temps de la connectivité entre les deux hémisphères chez des patients présentant des lésions cérébrales pourraient mettre en évidence des biomarqueurs potentiels de la récupération fonctionnelle.