Dans une forme rare et précoce de la maladie d’Alzheimer, les chercheurs de l’Institut du Cerveau – ICM ont montré, que, de façon surprenante, la connectivité entre les neurones augmente pendant la phase initiale de la maladie. Cette augmentation transitoire correspondrait à un mécanisme mis en place par le cerveau pour compenser la perte des neurones. Cette étude ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques pour les patients atteints de maladies neurodégénératives, en effet, ces réseaux hyper-connectés pourraient devenir la cible de futurs traitements.
Une forme rare et précoce de la maladie d’Alzheimer, appelée Atrophie Corticale Postérieure (ACP), est due à la détérioration d’une région du cerveau responsable du traitement des informations visuelles. Les patients ne souffrent pas de troubles de la mémoire mais peuvent présenter une vision floue, des difficultés à lire, à écrire, à reconnaître les visages, à s’orienter dans l’espace, à saisir un objet… La région touchée correspond à la partie postérieure du cortex, qui est située à l’arrière du cerveau, et la dégénérescence des neurones est causée par la formation de plaques séniles, comme dans la maladie d’Alzheimer.
Cette région est connectée à d’autres régions du cerveau pour former les voies visuelles :
- La voie ventrale est utilisée pour reconnaître une lettre écrite, un visage ou un objet, c’est la voie du « what» : à quoi correspond ce que je vois ?
- La voie dorsale est utilisée pour localiser les objets dans l’espace, c’est la voie du « where » : où est positionné le stylo par rapport à mon bras et quel mouvement dois-je faire pour l’atteindre ?
Chez les patients atteints d’ACP, ces deux voies sont « altérées » sur les plans à la fois structurel (dégénérescence des neurones) et clinique (symptômes). Grâce à des analyses complexes d’imagerie fonctionnelle, Raffaella Migliaccio de l’équipe de Bruno Dubois et Richard Lévy en collaboration avec Paolo Bartolomeo, et Cécile Gallea de l’équipe de Marie Vidailhet et Stéphane Lehéricy, ont étudié ces voies visuelles au niveau de leur connectivité fonctionnelle. Etant donné que la partie postérieure est atrophiée, et a donc subi une perte de neurones, les chercheurs s’attendaient à observer une diminution de la connectivité fonctionnelle. C’est effectivement ce qui est observé au niveau du réseau ventral, mais, de façon surprenante, le réseau dorsal présente une augmentation de cette connectivité fonctionnelle.
Résultats de connectivité fonctionnelle dans les voies visuelles chez les patients atteints d’atrophie corticale postérieure (ACP) comparés aux volontaires sains (VS).
Ainsi, dans un cerveau touché par l’atrophie d’une région précise, il y a d’abord une atteinte de la structure et de façon surprenante, cette atteinte conduit à une augmentation de la connectivité fonctionnelle avec certaines des autres régions. C’est comme si la région touchée essayait de compenser la perte des neurones en hyperconnectant ceux qui restent. Cet effort de compensation qui a lieu chez des patients déjà très symptomatiques correspond à la phase initiale de la maladie et pourrait donc être transitoire.
L’interprétation de ces résultats n’est pas univoque. Cette augmentation de la connectivité fonctionnelle peut indiquer soit une communication aberrante dans le réseau dorsal en réponse à l’atrophie postérieure, soit un processus de « résilience neuronale » mis en place par le cerveau des patients au cours de la phase initiale de la maladie pour tenter de répondre mieux à une atteinte cérébrale grâce à des stratégies adaptatives.
Cette étude ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques pour les patients atteints de maladies neurodégénératives. Ces réseaux hyper-connectés pourraient devenir la cible de futurs traitements pour essayer de les stimuler, de les rééduquer ou de les booster, grâce à la rééducation cognitive, à la stimulation cérébrale profonde ou à la stimulation transcrânienne.