Une étude de l’Institut du Cerveau (ICM/Inserm/CNRS/Sorbonne Université/AP-HP) établit pour la première fois le lien entre l’apparition d’une fatigue mentale et l’accumulation dans une région particulière du cerveau – le cortex préfrontal latéral – d’un neurotransmetteur appelé glutamate. Incapable d’éliminer cette molécule qui entrave son fonctionnement, le cerveau n’est plus en mesure de produire un quelconque effort supplémentaire. Cette découverte expliquerait pourquoi nous sommes plus impulsifs dans nos choix lorsque nous sommes fatigués. Elle pourrait également avoir des implications pour mieux comprendre certaines pathologies comme le burn-out.
Qu'est-ce que la fatigue mentale ?
La fatigue mentale peut se définir par l’état dans lequel nous pouvons parfois nous retrouver, après plusieurs heures de tâches cognitives exigeantes, avec un sentiment de saturation et alors incapables de réfléchir davantage ou de prendre une décision.
Dans un premier travail paru en 2016, des chercheurs de l’équipe Motivation, cerveau et comportement, dirigée à l’Institut du Cerveau par Mathias Pessiglione (DR2 Inserm) avaient déjà démontré que cette fatigue cognitive pouvait nous amener à préférer les récompenses immédiates – comme le plaisir de manger du chocolat – aux récompenses différées, à plus long terme, comme celle de ne pas prendre de poids. Les scientifiques avaient alors mis en évidence que cette fatigue résultait d’une baisse d’activité, au fil de la journée, d’une région cérébrale particulière : le cortex préfrontal latéral gauche. Restait à comprendre pourquoi cette région ne s’active plus lorsque nous sommes fatigués.
Que se passe t-il dans le cerveau ?
Dans de nouveaux travaux collaboratifs soutenus par l’ANR (ANR-20-CE37-0011), publiés dans la revue Current Biology, Mathias Pessiglione et le Dr Fanny Mochel (neurologie AP-HP et chercheuse Sorbonne Université) ont poursuivi ces investigations en recherchant les causes biologiques de la fatigue cognitive.
Ils ont pour cela eu recours à une technique d’imagerie appelée spectroscopie par résonance magnétique, qui permet de quantifier différents métabolites dans le cerveau. Ils ont ainsi mesuré la quantité de plusieurs molécules dans le cortex préfrontal latéral des participants à l’étude, à qui il était demandé, selon leur groupe, des tâches nécessitant beaucoup d’attention, ou des tâches cognitives plus simples.
Les scientifiques ont mis en évidence que l’accumulation de glutamate dans le cortex préfrontal latéral augmente au cours de la journée, mais seulement lorsqu’on effectue un travail exigeant sur le plan attentionnel.
Le glutamate en question
Le glutamate est un neurotransmetteur excitateur essentiel du système nerveux central. En conditions normales et lorsque les tâches cognitives sont espacées, il existe un mécanisme spontané d’élimination, qui assure une régulation du taux de glutamate. Mais en cas de saturation, cette molécule s’accumule au niveau des synapses – les zones de contact entre deux neurones –, et, en trop forte concentration, devient nuisible, empêchant l’activation normale et le bon fonctionnement du cortex préfrontal latéral.
Les nouvelles pistes de recherche
Les conclusions de cette étude sont à mettre en parallèle d’autres travaux effectués par les mêmes chercheurs chez des sportifs de haut niveau soumis à un surentrainement, chez qui ils ont montré la survenue d’une fatigue similaire. Le mécanisme biologique sous-jacent ne serait donc probablement pas spécifique des tâches « intellectuelles », mais entrerait en jeu à l’occasion de toute tâche demandant un contrôle attentionnel intense et prolongé, c’est-à-dire à toute activité qui ne peut pas se reposer sur des automatismes déjà bien rodés.
Ces résultats pourraient ouvrir de nouvelles pistes de recherche vers une meilleure compréhension de conditions pathologiques impliquant les états de fatigue mentale, comme les burn-out.
Sources
Wiehler A, Branzoli F, Adanyeguh I, Mochel F, Pessiglione M. A neuro-metabolic account of why daylong cognitive work alters the control of economic decisions. Curr Biol. 2022 Aug 22;32(16):3564-3575.e5. doi: 10.1016/j.cub.2022.07.010. Epub 2022 Aug 11. PMID: 35961314.