Une exploration d’une précision inégalée des bases moléculaires et électrophysiologiques d’une forme d’encéphalite auto-immune, conduite par l’équipe « Excitabilité cellulaire et dynamiques des réseaux neuronaux » de l’Institut du Cerveau, élucide pour la première fois un scénario de l’apparition des crises d’épilepsie dans cette pathologie. Les résultats, publiés dans Progress in Neurobiology, ouvre la voie à l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques pour les épilepsies résistantes aux médicaments antiépileptiques.
Crise d'épilepsie et encéphalite auto-immune
Les encéphalites auto-immunes surviennent à la suite d’une attaque du système nerveux central par les propres cellules immunitaires d’un individu. C’est une cause importante à rechercher dans les épilepsies de l’adulte et de l’enfant, une fois exclus les facteurs classiques de déclenchement des crises : une cause auto-immune serait en cause dans près de 30% des cas. L’identification d’une cause auto-immune a également des implications majeures sur la prise en charge. Dans ce cas, des médicaments anti-inflammatoires peuvent être efficaces pour traiter les symptômes, alors que les antiépileptiques classiques sont inefficaces. Un traitement rapide des crises auto-immunes est crucial car l’hyperactivité des neurones associée aux crises peut conduire à d’importantes séquelles cognitives et neurologiques.
Dans les encéphalites auto-immunes, plusieurs protéines peuvent être la cible des cellules immunitaires, comme les récepteurs NMDA, conduisant à des troubles neuropsychiatriques très sévères, ou la protéine synaptique LGI1, cible la plus fréquente chez les patients ayant une épilepsie auto-immune, qui module l’activité du canal potassique KV1.1 au niveau des synapses. Ce canal régule le passage de l’influx nerveux de neurone en neurone.
Un nouveau modèle d'étude, combiné à une exploration cellulaire d'une précision inégalée
Comment des anticorps ciblant la protéine LGI1 peuvent-ils induire des crises épileptiques si sévères ? Pour explorer cette question, Paul Baudin, premier auteur de l’étude, dirigé par Vincent Navarro (Sorbonne Université/AP-HP), associé à Séverine Mahon (Inserm) et Stéphane Charpier (Sorbonne Université) dans l’équipe « Excitabilité cellulaire et dynamiques des réseaux neuronaux »,) ont bloqué le canal KV1.1 dans le cortex moteur chez le rat. En résultent des crises identiques à celles observées chez les patients. Grâce à l’analyse de l’activité cérébrale par électroencéphalographie (EEG), les chercheurs ont pu mettre en évidence une onde spécifique au niveau du cortex moteur précédant le début de la crise. Ces premières données renforcent l’homologie majeure entre les patients et le modèle animal d’encéphalite visant la protéine LGI1, par blocage du canal KV1.1.
Fort de ce modèle, les chercheurs ont conduit une exploration en profondeur à l’échelle cellulaire des conséquences du blocage du canal KV1.1. Combinant des enregistrement multi-électrodes au niveau du cortex moteur, mis en place avec Delphine Roussel de la plateforme d’électrophysiologie de l’Institut du Cerveau, EPhys, et des enregistrements intracellulaires, expertise de Stéphane Charpier et Séverine Mahon dans l’équipe, ils ont identifié des changements majeurs dans l’activité des synapses et l’excitabilité des neurones.
Un scénario de l'apparition des crises
Grâce à cette approche unique, les chercheurs ont pu proposer un scénario au déclenchement des crises et à leur répétition très fréquente. Après une première crise, les neurones sont inhibés, puis progressivement ils se dépolarisent, c’est-à-dire que les niveaux d’activation et de synchronisation des neurones sont de plus en plus élevés, jusqu’à l’initiation d’une nouvelle crise. L’étude des caractéristiques intrinsèques des neurones met en évidence que ces derniers sont devenus hyperexcitables, c’est-à-dire beaucoup plus sensibles à la moindre stimulation. Ces données expliquent également l’augmentation de la fréquence des crises chez les patients avec le temps.
L’équipe de l’Institut du Cerveau suggère ici le rôle central des canaux potassiques dans les épilepsies associées à l’encéphalite auto-immune liée à des anticorps. Ce résultat, pour le Pr Vincent Navarro, ouvre des perspectives majeures pour la recherche thérapeutique, notamment sur le potentiel antiépileptique de modulateurs des canaux potassiques.
Sources
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35283238/
Baudin P, Whitmarsh S, Cousyn L, Roussel D, Lecas S, Lehongre K, Charpier S, Mahon S, Navarro V. Prog Neurobiol. 2022 Mar 10