Le Pr Emmanuel Flamand Roze a initié le programme « The Move », qui utilise le mime pour enseigner la sémiologie neurologique aux étudiants en médecine. Cette méthode d’enseignement novatrice, soutenue par l’Institut du Cerveau - ICM et l’IHU pour son développement au niveau international, a été présentée aux étudiants de l’université de Dublin jeudi 8 décembre. Interview.
Le Pr Emmanuel Flamand Roze est Principal Investigator dans l’équipe de Stéphane Lehéricy et Marie Vidailhet.
Qu’est-ce que le programme « The Move » ?
The Move est un programme innovant d’enseignement par simulation qui utilise le mime pour apprendre aux étudiants en médecine la sémiologie neurologique, c’est-à-dire la manifestation des maladies neurologiques. Pour toutes les maladies neurologiques, nous leur faisons mimer les symptômes. Cela n’a jamais été fait avant !
Quand au XIXe siècle Charcot invitait les patients à participer à ses cours à la Pitié Salpêtrière, pour que les étudiants voient les manifestations en direct ce n’était pas du mime mais cela a transformé l’enseignement de la neurologie en quelque chose de concret. Ce qui est nouveau dans notre cas, c’est que nous avons repris le scénario de « The Voice », avec le mime, afin de rendre l’enseignement joyeux et ludique en plus d’être concret.
Quel est l’intérêt d’utiliser le mime pour l’apprentissage en neurologie ?
Les étudiants ont de très bonnes connaissances théoriques mais la mise en pratique est parfois un peu délicate. En particulier, l’identification et la classification des manifestations des maladies, quand ils sont face aux malades, est assez difficile.
Cette méthode a beaucoup d’avantages pour plusieurs raisons.
La première est sociétale. Nous connaissons l’existence de la neurophobie, qui est bien décrite dans la littérature médicale et scientifique, et qui désigne la peur que nous avons de la neurologie et de se retrouver face à des patients atteints de pathologies neurologiques. C’est quelque chose qui est partagé par les étudiants de tous les continents. La matière qu’ils redoutent le plus, et la partie de l’examen clinique avec laquelle ils ont le plus de difficulté, c’est la neurologie.
Et il faut mettre en relation cette neurophobie avec le fait que, quoi que l’on fasse, il n’y aura jamais assez de neurologues dans les décennies à venir pour s’occuper de tous les patients. La conséquence de cela est que beaucoup de patients neurologiques seront pris en charge par des médecins généralistes ou des gériatres. Et si les étudiants, les jeunes médecins, éprouvent de la neurophobie, ce sera catastrophique pour les patients qui ne pourront être suivis par des neurologues. « The Move » souhaite proposer un début de solution à ce problème.
Il y a ensuite des raisons pédagogiques : les recherche dans ce domaine disent bien que faire de l’enseignement sur un mode vertical, de façon magistrale, n’est pas le plus efficace. Les étudiants y sont par ailleurs de plus en plus réfractaires. Il faut donc apporter un bagage théorique, mais il faut pouvoir le convertir en aptitudes pratiques, et dans ce contexte il est opportun de passer par des enseignements par simulation. Par ailleurs, on peut en profiter pour apprendre aux étudiants comment se comporter avec les patients, donc leur enseigner le savoir-être et pas seulement le savoir-faire ! Nous pouvons les placer dans une position où ils expérimentent la perspective du patient, ce qui est peu fait au cours de leurs études. L’avantage est également que nous pouvons leur apprendre tout cela sans risquer d’embarrasser les patients, et en prenant du temps.
La troisième raison est neurologique. Que pouvons-nous faire pour que le cerveau mémorise plus efficacement à long terme ? Comme dans le cas de notre programme, il faut mettre les 5 sens et le corps tout entier à contribution pour encoder l’information, de façon à augmenter l’attention et la motivation, avec un enseignement stimulant et interactif.
Quelles sont vos ambitions pour ce programme ?
Cela fait trois ans que nous avons démarré ce programme.
Puisque le concept fonctionne bien nous souhaitons l’exporter à l’international, et en faire un outil d’attractivité pour l’Institut du Cerveau - ICM et l’IHU, en favorisant les interactions entre différents jeunes européens. Cela avec l’idée que nous allons favoriser les interactions dans l’enseignement, et que ce sera aussi bénéfique pour l’avenir dans la perspective de collaborations de soins et de recherche.
Nous pensons par ailleurs apporter une pierre à l’édifice de la fraternité européenne, car c’est un bon moyen pour que des étudiants européens passent du temps ensemble. C’était l’idée de l’évènement qui s’est déroulé à Dublin le jeudi 8 décembre.
« The Move » est un programme fédérateur, et qui peut l’être au niveau européen.