Les neurones sensoriels captent les informations issues de nos sens et les communiquent au système nerveux central. Mais ce n’est pas là leur unique mission. Dans une nouvelle étude publiée dans la revue Current Biology, Claire Wyart, directrice de recherche Inserm à l’Institut du Cerveau, et Christina Vandenbroucke-Grauls, aux Centres Médicaux Universitaires d’Amsterdam, ont montré que ces neurones tiennent un rôle de premier plan dans la méningite à pneumocoque, une infection grave à la mortalité élevée et au fort potentiel épidémique : ils participent à la lutte contre l’infection et favorisent la survie de l’hôte.
Au cours des dernières années, la recherche a mis en évidence la présence de récepteurs sensoriels dans des zones inattendues du corps humain. Dans les tissus pulmonaires par exemple, des récepteurs gustatifs provoquent le relâchement des voies respiratoires en présence d’une substance amère. On trouve également des récepteurs du goût sucré dans le cerveau, le cœur, les reins, la vessie, ou l’épithélium nasal. Leur fonction n’est pas toujours claire, et fait l’objet de nombreuses recherches. « Des études récentes de l’université d’Harvard ont montré que les cellules sensorielles de la peau pouvaient contribuer à la lutte contre les infections, en cas d’invasion des tissus sous-cutanés par une bactérie, par exemple, explique Claire Wyart, à la tête de l’équipe Signalisation sensorielle spinale à l’Institut du Cerveau. Le même phénomène se produit en cas d’infection respiratoire : des cellules cillées détectent la trace de bactéries pathogènes, et déclenchent une réaction inflammatoire. Nous voulions savoir s’il existait un système de protection similaire dans le système nerveux central. »
Dans ce but, les chercheurs se sont intéressés au rôle de cellules sensorielles situées le long des parois du canal central de la moelle épinière, et appelées « neurones en contact avec le liquide cérébrospinal » – ou neurones de contact. Très nombreuses chez les vertébrés, ces cellules sont capables de détecter la courbure de la colonne vertébrale en temps réel, et utilisent cette information pour adapter la posture du corps en fonction des contraintes auxquelles il est exposé. Au cours des dix dernières années, l’équipe de Claire Wyart a montré que ce système de détection permet d’optimiser la posture lors d’un effort physique. Mais il intervient aussi lors de la croissance et du vieillissement, pour ajuster la forme de la colonne vertébrale.
Moduler l’inflammation et la réponse immunitaire
Pour comprendre le rôle de ces cellules dans la méningite à pneumocoque, les chercheurs ont utilisé un modèle animal de la maladie. Après avoir injecté Streptococcus pneumoniae dans le cerveau postérieur de larves de poissons zèbre, ils ont observé que les symptômes de la méningite chez les animaux étaient similaires à la manifestation clinique de la maladie chez l’humain à un stade avancé. En particulier, les poissons présentaient une courbure anormale du dos, ainsi que des crises de type épileptique.
Le témoin de cette activation ? Des flux de calcium importants. Or, les chercheurs ont également observé ces flux in vitro, lorsque les neurones sensoriels ont été exposés à des sécrétions de S. pneumoniae – qui sont reconnues comme des substances amères.
Pour vérifier que les neurones de contact contribuaient bel et bien à la réponse immunitaire dans l’infection à pneumocoque, les chercheurs ont procédé à leur suppression chez les larves de poisson-zèbre. La durée de vie des animaux s’en est trouvé réduite, et le taux de S. pneumoniae dans leur organisme a augmenté.
La méningite, une maladie redoutable
Streptococcus pneumoniae est la cause la plus fréquente des méningites infectieuses transmises par contact. La maladie touche environ 500 000 personnes par an et est associée à une mortalité élevée, en particulier en Afrique subsaharienne, selon l’OMS. Son incidence annuelle est de 1 à 3 cas pour 100 000 habitants dans les pays industrialisés, où des vaccins sont pourtant disponibles. En outre, elle provoque des lésions cérébrales causées à la fois par l’infection et par la réponse inflammatoire de l’hôte.
A terme, une meilleure connaissance de ces neurones sensoriels nous permettra peut-être d’ouvrir des pistes thérapeutiques dans d’autres infections du système nerveux, pour lesquelles nous ne disposons pas encore de vaccins.
Sources
Prendergast, A. et al., CSF-contacting neurons respond to Streptococcus pneunomiae and promote host survival during central nervous system infection, Current Biology, 14 février 2023.
http://doi.org/10.1016/j.cub.2023.01.039
Autres références :
Freund, J.R. et al., (2018). Activation of airway epithelial bitter taste receptors by Pseudomonas aeruginosa quinolones modulates calcium, cyclic-AMP, and nitric oxide signaling. J Biol Chem. 293, 9824-9840. 10.1074/jbc.RA117.001005.
Deshpande DA, et al., (2010). Bitter taste receptors on airway smooth muscle bronchodilate by localized calcium signaling and reverse obstruction ». Nature Medicine. 16 (11): 1299–304. doi:10.1038/nm.2237
Lee, RJ. et al., (2015). Taste receptors in innate immunity. Cell. Mol. Life Sci. 72 (2): 217–236. doi:10.1007/s00018-014-1736-7
L’équipe "Signalisation sensorielle spinale" étudie les réseaux neuromodulateurs issus du cerveau ou de la moelle épinière et leurs effets sur la locomotion et la posture. L’équipe s’intéresse aux circuits neuronaux dits « reticulospinaux » (RSNs).
En savoir plus