La marche est un mécanisme complexe qui implique à la fois des processus automatiques et le contrôle de la volonté. Ses dysfonctionnements peuvent avoir des causes multiples, parfois extrêmement subtiles, au sein du cortex moteur, du tronc cérébral, de la moelle épinière ou des muscles. A l’Institut du Cerveau, Martin Carbo-Tano, Mathilde Lapoix et leurs collègues de l’équipe « Signalisation sensorielle spinale » dirigée par Claire Wyart (Inserm), se sont intéressés à une composante bien particulière de la locomotion : la propulsion vers l’avant. Ils montrent, dans une étude publiée dans Nature Neuroscience, qu’elle est assurée par une région classiquement nommée « région locomotrice mésencéphalique » qui contrôle la vigueur et la rapidité du déplacement, et transmet le message nerveux à la moelle épinière via des neurones de commande situés dans le tronc cérébral. Cette nouvelle cartographie, réalisée chez le poisson-zèbre, corrobore des études réalisées chez la souris. Elle pourrait à terme être généralisée à l’humain et contribuer à la compréhension des circuits de commande du mouvement, déficitaires dans la maladie de Parkinson.
Pour tous ceux qui, parmi nous, ont la chance de pouvoir marcher normalement, la déambulation est un comportement si habituel que l’on ne songe guère que sa réalisation repose sur des processus complexes, en partie involontaires. « Les animaux se déplacent pour explorer leur environnement en quête de nourriture, d’interactions avec leurs congénères, ou simplement par curiosité. Mais la perception d’un danger ou un stimulus douloureux peuvent aussi activer un réflexe de fuite automatique », explique Martin Carbo-Tano, post-doctorant à l’Institut du Cerveau. Nous savons que, dans les deux cas, l’initiation du mouvement repose sur l’activation de neurones de commande dits réticulospinaux, qui forment un réseau entremêlé dans la partie la plus postérieure du cerveau – le tronc cérébral. Ces neurones servent de relais des signaux nerveux entre l’encéphale et la moelle épinière, et sont essentiels pour le contrôle moteur des membres et du tronc, ainsi que la coordination des mouvements.
En amont des neurones réticulospinaux, on trouve la région locomotrice mésencéphalique (en anglais « MLR »), elle aussi indispensable à la locomotion puisque chez l’animal, sa stimulation provoque la propulsion vers l’avant. On la retrouve chez de nombreux vertébrés, tels que les singes, les cochons d’Inde, les chats, les salamandres, ou même la lamproie.
La station de pilotage ouvre ses portes
Etudier l’initiation du mouvement est d’autant plus complexe que les neurones situés dans le tronc cérébral sont peu accessibles : il est difficile d’observer leur activité in vivo, chez un animal en mouvement. Pour résoudre ce problème, Martin Carbo-Tano a développé une nouvelle approche pour stimuler des zones minuscules dans le cerveau. Avec Mathilde Lapoix, doctorante dans l’équipe de Claire Wyart à l’Institut du Cerveau, les chercheurs ont mis à profit la transparence du cerveau des larves de poisson-zèbre afin de localiser très facilement, par imagerie, les structures en aval du MLR impliquées dans la locomotion et de suivre la propagation de l’influx nerveux. Cette méthode, inspirée par le travail de leur collaborateur Réjean Dubuc à l’Université de Montréal, leur a permis de faire plusieurs découvertes remarquables.
« Nous avons observé que les neurones de la région locomotrice mésencéphalique sont stimulés quand l’animal se déplace spontanément, mais aussi en réaction à un stimulus visuel. Ils se projettent à travers le pont – la partie centrale du tronc cérébral – et le bulbe rachidien pour activer une sous-population de neurones réticulospinaux, que nous appelons les « V2a ». Ces derniers contrôlent ensuite les détails plus fins du mouvement, comme le démarrage, l’arrêt et les changements de direction. En quelque sorte, ils donnent des instructions de pilotage ! Des travaux antérieurs chez la souris avaient révélé que les neurones réticulospinaux assurent le contrôle des virages ; Martin et Mathilde, eux, ont découvert le circuit de commande qui déclenche l’élan vers l’avant », explique Claire Wyart.
Le mésencéphale, un concentré d’intensité
Pour mieux comprendre les effets de ce mécanisme sur les déplacements des larves de poisson-zèbre, les chercheurs l’ont déclenché de manière expérimentale en stimulant la région locomotrice mésencéphalique. Ils ont ainsi observé que la durée et la vigueur du mouvement vers l’avant étaient corrélés à l’intensité de la stimulation.
Ce travail aura permis de cartographier pour la première fois les circuits neuronaux impliqués dans l’initiation du mouvement vers l’avant – une fonction déficitaire chez les patients atteints de la maladie de Parkinson. Il s’agit d’une étape essentielle pour mettre en lumière les mécanismes du contrôle moteur qui interviennent en amont de la moelle épinière. Car un jour, il sera peut-être possible d’identifier et de contrôler, un à un, tous les neurones réticulospinaux, afin de modéliser finement les rouages de la locomotion et réparer ceux qui ne fonctionnent pas correctement.
Financement
Ce projet a notamment bénéficié du financement de l’European Research Council (ERC), de la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) et de la Fondation Bettencourt-Schueller (FBS), du programme European Training Network Marie Skłodowska-Curie, Action financée dans le cadre de l’Horizon 2020, de la New York Stem Cell Foundation (NYSCF) et du National Institute of Health (NIH).
Sources
Carbo-Tano M. et al. The mesencephalic locomotor region recruits V2a reticulospinal neurons to drive forward locomotion. Nature Neuroscience (2023).
DOI : 10.1038/s41593-023-01418-0
L’équipe "Signalisation sensorielle spinale" étudie les réseaux neuromodulateurs issus du cerveau ou de la moelle épinière et leurs effets sur la locomotion et la posture. L’équipe s’intéresse aux circuits neuronaux dits « reticulospinaux » (RSNs).
En savoir plus