Les patients atteints de démences fronto-temporales nécessitent une prise en charge médicale bien spécifique et adaptée. Pourtant, cette maladie est encore trop souvent confondue avec la maladie d’Alzheimer. Des chercheurs et cliniciens de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (Institut du Cerveau – ICM) et de l’Institut de la Mémoire et de la Maladie d’Alzheimer (IM2A), en collaboration avec une équipe internationale, viennent de montrer que des tests simples évaluant l’empathie pourraient orienter le diagnostic.
Alzheimer ou démence frontotemporale ? Pas toujours simple de faire la différence. La démence frontotemporale (DFT) se présente en effet sous trois formes cliniques dont la plus fréquente –dite à variante frontale ou comportementale (vf)- provoque des troubles de la mémoire. Ce fait, souvent méconnu, tend à aiguiller une partie des patients vers un diagnostic de maladie d’Alzheimer, par erreur. Mais cela pourrait bientôt changer : Maxime Bertoux (unité 975 Inserm/CNRS/Université Pierre et Marie Curie, Institut du cerveau et de la moelle épinière, Paris), en collaboration avec une équipe internationale, a montré que l’évaluation de la cognition sociale pourrait être un outil efficace pour distinguer les deux maladies : « la cognition sociale est l’ensemble des capacités cognitives qui permettent à une personne de s’adapter à son environnement social » explique le chercheur.
Pour leur étude, les chercheurs ont eu recours à deux tests : l’un consiste à demander au patient de reconnaître des émotions sur des photographies de visage ; lors du second, le « test des faux pas », des scénettes de vie sont décrites au malade, qui doit distinguer celles qui sont ou non socialement gênantes. L’objectif était d’évaluer si ces deux tests combinés sont pertinents pour différencier des malades atteints de DFTvf de ceux souffrant de la maladie d’Alzheimer.
Les chercheurs ont analysé rétrospectivement le dossier de 96 patients reçus au Centre des maladies cognitives et comportementales de l’hôpital Pitié-Salpêtrière (Paris) et atteints d’une des deux maladies. Tous avaient bénéficié d’un bilan initial comportant l’imagerie, l’analyse du liquide céphalorachidien (LCR), les tests de mémoire et les tests de cognition sociale -dits test mini-SEA (social cognition and emotional assessment). L’analyse consistait à déterminer si les résultats de ces deux derniers types d’examen étaient compatibles avec le diagnostic retenu par l’équipe médicale sur la base de l’ensemble des résultats des examens diagnostiques pratiqués. « Nous avons observé que 85 à 94% des patients peuvent être classés dans le bon groupe –Alzheimer ou DFTvf- en se fiant aux seuls tests mini-SEA. Comparativement, le résultat n’est que de 70% avec les tests de mémoire seuls, ce qui se traduit dans la pratique par un diagnostic erroné de maladie d’Alzheimer chez un patient DFT sur deux ». Une zone d’incertitude existait dans 11% des cas : « les tests ne permettent pas alors d’orienter vers l’une ou l’autre de ces maladies. Mais il s’agit de malades à un stade avancé, pour lesquels l’altération cognitive devient plus générale ». En situation de diagnostic précoce, ce problème ne se pose généralement pas.
Un test diagnostique simple à intégrer en routine
La DFT représente 20% des démences dégénératives, et près d’un tiers des cas diagnostiqués chez les moins de 65 ans. Si la variante frontale peut être confondue avec la maladie d’Alzheimer, elle s’en distingue souvent à travers des troubles de la personnalité, une perturbation du sens des valeurs sociales… qui demandent une prise en charge médicale et psychosociale bien spécifique. « Cette étude pourrait donc être utile pour réviser les critères diagnostiques des deux maladies, explique le chercheur, et ainsi d’apporter une prise en charge plus adaptée ».
En attendant, les auteurs de cette étude insistent pour que « médecins et neuropsychologues soient informés du fait que la distinction entre Alzheimer et DFT ne peut reposer uniquement sur les tests de mémoire : les tests de cognition sociale ont ici une utilité cruciale ». Rapides et peu coûteux, ces derniers pourraient, à moyen terme, être l’un des examens diagnostiques de référence. « Mais pour améliorer la précocité du diagnostic de ces maladies, l’identification de nouveaux marqueurs d’altération neuronale et de déclin cognitif sont nécessaires ». C’est l’enjeu que se sont fixés plusieurs des auteurs, au sein d’un tout nouveau institut de recherche sur les démences, installé au sein de l’université britannique d’East Anglia (Norwich, Angleterre).
Retrouvez le communiqué de l’Inserm.
Sources
Bertoux M et al. Social Cognition Deficits: The Key to Discriminate Behavioral Variant Frontotemporal Dementia from Alzheim’s Disease Regardless of Amnesia? Journal of Alzheimer’s Disease du 20 novembre 2015.